« The Swords of Ditto », ou l’aventure de petits aventuriers qui devient légende à force de répétition. | onebitbeyond

Il n’aura pas échappé aux observateurs les plus avisés que dans le dernier épisode du jeu vidéo The Legend of Zelda, sorti en mars, Nintendo se refuse de faire du Zelda, préférant dynamiter, repenser, et finalement transcender la recette de cette série culte née dans les années 1980.

Alors, tel le héros du temps arrachant l’épée sacrée de son socle pour prendre la défense du royaume d’Hyrule, les zélotes du Zelda canal historique ont décidé de prendre les choses en main. Qu’ils s’appellent Minit (prévu pour 2017) ou The Swords of Ditto (2018), leurs jeux ont pour point commun d’avoir été montrés cette semaine lors de l’E3, le Salon du jeu vidéo de Los Angeles. Les deux faces d’une même pièce. Ou plutôt, les deux bouts d’une même lorgnette nommée Zelda.

« Zelda » de poche

Il y a le petit bout. Petit, tout petit. Minuscule même. L’image ne fait sans doute que quelques centaines de pixels de côté, n’affiche crânement que deux couleurs, un noir et blanc qui évoque une préhistoire technologique plus ancienne même que la Game Boy.

Minit, c’est un Zelda de poche, où Link aurait été remplacé par un personnage que l’on devine mignon à défaut de bien comprendre de quoi il s’agit – disons, un canard. Sa quête va l’amener à marcher dans les pas de tout bon héros sauveur de royaume : retrouver une épée rejetée par la marée sur la plage ; gagner de la force pour être capable de pousser des obstacles ; mettre la main sur la clé de quelque donjon secret.

Minit - Teaser Trailer

C’est doux et c’est bon, paisible et gentil, ou du moins, pendant les 59 premières secondes de jeu. Et puis tout déraille. A la soixantième seconde, notre canard s’écroule, terrassé. Retour à la case départ. S’il garde, entreposés dans sa maison, les objets déjà trouvés, tout le reste est à refaire. Une minute pour se mettre en quête de la prochaine étape, du prochain outil, de sa prochaine utilisation. Une vie hachée par minute dont toute contemplation ou flânerie est proscrite.

C’est presque une métaphore de la vie qui file, des journées qui paraissaient vaines et dont il est trop simple de ne rien faire. Mais c’est surtout, mis bout à bout, une somme de petites actions qui dessinent progressivement une aventure. On pense à Majora’s Mask, épisode de la saga Zelda où Link doit reprendre son aventure à zéro tous les trois jours, saupoudré d’un humour terrible (l’ermite du phare, qui parle si lentement que l’on peut mourir de vieillesse à l’écouter).

Tous les « Zelda » à la fois

De la lorgnette mentionnée en début d’article, The Swords of Ditto, lui, est le grand bout. S’il se joue comme A Link to the Past, épisode fondateur de la série Zelda, il détourne et malmène le scénario de la série pour mieux se le réapproprier. The Legend of Zelda raconte toujours la même histoire d’un épisode à l’autre, celle d’un héros nommé Link qui sauve une princesse Zelda des griffes d’un démon baptisé Ganon, en ne faisant varier que la toile de fond. The Swords of Ditto lui, assume de raconter cette histoire, plusieurs fois, en boucle, au sein d’un seul et même jeu. Mieux, il en fait la mécanique au centre de son dispositif ludique. The Swords of Ditto ne fait pas penser à un Zelda : il est tous les Zelda à la fois.

The Swords of Ditto - Reveal Trailer

Dans ce titre du studio Onebitbeyond, le joueur incarne une lignée de héros ou d’héroïnes, se lançant, à plusieurs générations d’écart, à l’assaut de la forteresse de la méchante sorcière menaçant leur paisible village. Vont-ils réussir, vont-ils échouer ? Sans dire que ça n’a pas d’importance, disons qu’en tout cas rien n’est définitif. S’il échoue, un héros condamne seulement son descendant malheureux à évoluer dans un monde plus sombre, plus abîmé. A l’inverse, un héros qui parviendrait à occire l’odieuse sorcière laisserait à ses successeurs une quête inachevée (on se doute que vaincre le mal une fois ne suffira pas), mais tout de même un royaume plus paisible et serein. Dans tous les cas, méconnaissable.

Surtout, au parti pris ultra-minimaliste de Minit, il préfère une approche graphique chatoyante. « Notre graphiste vient de l’animation traditionnelle », se gargarise Jonathan Biddle, pour justifier l’esthétique si particulière de son jeu, toute en rondeur et en couleurs, soulignée par les adorables mimiques et mouvements des personnages.

The Swords of Ditto n’est pourtant pas le jeu pour enfant que ses graphismes évoquent. Minit, mini-Zelda qui fait brutalement mourir son joueur toutes les minutes, repose en fait sur des mécaniques simples. The Swords of Ditto le meta-Zelda, lui, propose une succession d’aventures variées, complexes et toujours renouvelées, où le joueur doit jongler entre différentes armes aussi improbables qu’un vinyle ou un club de golf, un pied colossal descendu des cieux ou une bogue d’une châtaigne géante.

Deux « petits » jeux développés par des créateurs indépendants, deux visions de Zelda observé par chacun des bouts de la lorgnette, mais au final deux œuvres qui ne font que célébrer la beauté pure des mécanismes de leur modèle.