Une fillette rohingya dans un camp de réfugiés près de Kyaukpyu, dans l’est de la Birmanie, le 17 mai. | SOE ZEYA TUN / REUTERS

Le changement de poste n’est pas passé inaperçu : mardi 13 juin, l’ONU a annoncé le départ imminent de la coordonnatrice des Nations unies en Birmanie, Renata Lok-Dessallien, un an et demi avant la date prévue. La Canadienne, anciennement en poste à Pékin, n’avait pourtant pas fait de vagues. Elle était même jugée particulièrement peu vindicative sur la question des atrocités commises par l’armée contre les minorités ethniques, à commencer par les Rohingyas, une ethnie musulmane concentrée dans l’Etat d’Arakan, dans l’ouest du pays. A tel point que son départ anticipé a provoqué un certain soulagement parmi les ONG de défense des droits de l’homme.

« Nous attendions cela depuis longtemps, se félicite Matthew Smith, de Fortify Rights, une organisation basée à Bangkok, impliquée dans la défense des Rohingyas. La coordinatrice donnait la priorité au développement au détriment des droits de l’homme, comme si les deux dossiers n’étaient pas liés. Beaucoup, dans les rangs de l’ONU, se plaignaient du fait qu’elle sapait le travail de ceux qui s’impliquaient sur les droits de l’homme. »

Meurtres de masse

Parmi les critiques adressées à Mme Lok-Dessallien, un voyage dans l’Etat d’Arakan, en novembre 2016, avec une délégation de diplomates étrangers. A l’issue de cette visite, elle avait interdit aux médias d’enregistrer ses propos relatifs à la situation des Rohingyas.

Cette mutation, officiellement attribuée à une réorganisation purement administrative, intervient sur fond de bras de fer entre les Nations unies et la Birmanie. En février, un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme mettait en cause les forces de sécurité dans des meurtres de masse et une campagne de viols collectifs contre les femmes musulmanes vivant en Arakan, dans le but de provoquer la fuite des membres de cette ethnie, déjà privés de la nationalité birmane et visés par une série de lois discriminatoires.

Fin mars, l’ONU décidait de dépêcher une mission indépendante afin de documenter les faits. Mais Aung San Suu Kyi, la dirigeante de fait du pays, s’y est catégoriquement opposée. L’envoi d’une telle mission « aurait aggravé les hostilités entre les différentes communautés », a-t-elle répété lundi, lors d’une visite officielle en Suède.

Militaires tout-puissants

Arrivée au pouvoir après cinq décennies de dictature militaire, l’ex-opposante, lauréate en 1991 du prix Nobel de la paix, doit composer avec la puissante Tatmadaw – le nom de l’armée birmane – avec laquelle elle a négocié les conditions du retour à la démocratie, en 2015. Or les militaires, tout-puissants dans les zones où vivent les minorités ethniques, multiplient les exactions dans l’Etat d’Arakan, mais aussi dans le nord du pays.

Mercredi, Amnesty International a dénoncé dans un rapport les « actes de torture, exécutions extrajudiciaires, bombardements aveugles de villages civils, entraves aux déplacements et restrictions à l’aide humanitaire » dans les Etats Chan et Kachin, en proie à de violents combats depuis novembre 2016 entre l’armée et des guérillas ethniques. Les violences perpétrées par l’armée, mais aussi par les rebelles, ont provoqué le départ de près de 100 000 civils vivant dans ces régions.