Ambiance studieuse et concentrée, deux studios, du matériel de transmission satellite. Les quatorze journalistes et quatre traducteurs de Studio Kalangou, à Niamey, s’activent, en plein ramadan, pour livrer leurs deux heures de radio en direct : des journaux en cinq langues et un grand débat en français. Avec un effectif limité, il faut une organisation rigoureuse, un planning précis et des reportages au cordeau : pas plus d’une minute par sujet pour un journal de quinze minutes, dont trois de magazine.

La journée commence à 9 heures par la conférence de rédaction. Les reportages sont presque tous produits avant 13 heures, y compris en province, où des radios partenaires font office de correspondants – l’objectif est de produire un journal national. Ensuite commencent les traductions. A partir de 17 heures, les éditions en tamacheq, en fulfulde, en haoussa, en zarma et en français s’enchaînent sur les ondes.

Puis, à 18 h 15, c’est le tour du « Forum », jusqu’à 19 heures. « C’est notre espace de liberté pour approfondir les sujets. Il a une dimension d’éducation populaire, de sensibilisation mais aussi de témoignage, pour donner la parole à ceux qui ne l’ont pas d’habitude », explique Pauline Bend, la représentante au Niger de la Fondation Hirondelle, une ONG suisse qui fournit de l’information aux populations confrontées à des crises et qui est à l’origine de Studio Kalangou.

Une information neutre

La radio, dont le nom est inspiré d’un petit tambour, très populaire au Niger, utilisé pour annoncer les nouvelles, a été fondée en octobre 2015, quelques mois avant les élections générales de février 2016, pour contribuer à un débat apaisé pendant cette période critique. « La propagande tue, l’information apaise », dit le slogan de la Fondation Hirondelle. Une formation à la prise de son et au montage a été délivrée aux journalistes recrutés, qui jouissent depuis d’un salaire correct et d’une liberté garantie par la neutralité éditoriale.

Adama Dawaki a 41 ans. Sa carrière l’a conduite dans presque toutes les radios privées du Niger, avant d’atterrir à Studio Kalangou.

« Dans les autres radios, on t’impose souvent de te ranger à la position politique des promoteurs. Pas ici. En toute conscience, tu peux traiter tous les sujets, t’exprimer en toute liberté. Pour la population, c’est précieux. C’est la première fois qu’elle est en contact direct avec une information neutre sur la sécurité ou sur les élections. »

Interview de Adama Dawaki, journaliste à Studio Kalangou au Niger

Ce jour-là, le « Forum » est consacré à la recrudescence de l’insécurité dans la région de Tillabéri, dans l’ouest du pays, qui subit des attaques terroristes récurrentes depuis quelques mois. Le présentateur, Hamado Moumouni, énonce les faits, évoque la présence des forces de sécurité nigériennes et françaises et rappelle les règles du débat : l’échange dans le respect de l’autre.

Au téléphone, le maire d’Abala, une localité récemment attaquée, se félicite de la tenue locale d’une réunion supposée calmer les esprits. Les participants, représentants de la société civile, déplorent le manque d’infrastructures, de perspectives professionnelles pour les jeunes, l’abandon d’une région désertique, la contagion de l’insécurité au Mali voisin, le conservatisme et la prédation des élites…

Vingt-neuf radios partenaires

Au Niger, si la radio publique est disponible partout où portent ses émetteurs, les télévisions et radios privées, elles, sont surtout accessibles autour des grandes villes et le pluralisme médiatique reste le privilège de l’élite citadine et éduquée. Mais, grâce à 29 radios partenaires, plus de la moitié des 19 millions de Nigériens (dont 70 % sont analphabètes et 80 % vivent dans les campagnes) peuvent capter les programmes de Studio Kalangou, y compris dans les régions les plus reculées du pays.

Boubacar Diallo est responsable de l’émission « Forum » et chargé des radios partenaires, pour lesquelles Studio Kalangou est un bol d’air car elles manquent de tout – moyens financiers, humains et techniques.

« Les radios communautaires rediffusent souvent notre programme de deux heures. Kalangou leur envoie chaque mois de quoi payer leurs charges fixes et leur a offert des équipements : kits de reportage, kits de maintenance, micros pour le studio, kits GSM, onduleurs. Enfin, les radios communautaires ont pu former des personnels qui n’avaient aucune notion du journalisme. »

Avant-dernier mondial en termes d’indice de développement humain (IDH), confronté à une fécondité record (7,6 enfants par femme) qui se traduit par le doublement de la population tous les dix-huit ans, le Niger est cerné par les défis : éducation, sécurité, jeunesse, climat. Gratuit, accessible dans la plupart des langues parlées par les auditeurs, Studio Kalangou y est un espace incomparable de débat et d’éducation.

Pas de financement pour 2018

Pourtant, la radio risque de devoir interrompre ses émissions. « Il n’y a pas de perspective claire pour la suite du financement, regrette Pauline Bend. La plupart des bailleurs de fonds s’intéressent d’abord aux questions de sécurité, de terrorisme, de migration, sans voir qu’on ne peut pas construire la stabilité et la paix sans offrir un autre horizon aux citoyens. »

La radio Studio Kalangou, à Niamey, a été créée en octobre 2015 à l’initiative de la Fondation Hirondelle. Elle emploie quatorze journalistes et quatre traducteurs. | Fondation Hirondelle

La radio a bénéficié des soutiens de l’Union européenne, de la Suisse, du Royaume-Uni et de la France. Son budget annuel s’élève à 1,3 million d’euros. Au siège de la Fondation Hirondelle, à Lausanne, Dario Baroni, chargé de programme, est inquiet : « A l’heure actuelle, le projet n’a pas obtenu de promesse de financement pour 2018. Si cette situation se prolonge, la Fondation Hirondelle se verra dans l’obligation d’interrompre les activités de la radio avant la fin 2017. »

Un sursis qui inquiète beaucoup de Nigériens. A la sortie du studio, le président du Conseil des éleveurs du Nord-Tillabéri, Boubacar Diallo (un homonyme du responsable d’émission), espère que la radio va survivre et énumère ses atouts : « Elle travaille avec les radios communautaires. Elle va à l’intérieur du pays et permet aux gens de la campagne d’être informés. L’information fait partie du développement. »

Mahmoud Al-Mahmoud, un Touareg représentant l’association de lutte contre l’esclavage Timidria à Bankilaré, à une cinquantaine de kilomètres de la frontière burkinabée, est un invité récurrent de Studio Kalangou. Il se réjouit d’être écouté chez lui : « Grâce aux débats, même quand ils ne sont pas allés à l’école, les gens comprennent que les armes, ce n’est pas la solution. Kalangou donne la parole à tout le monde. La radio œuvre pour la paix parce qu’elle offre un espace de dialogue. » Un espace qui, faute de financement, risque aujourd’hui de disparaître.