Le premier bras de fer diplomatique entre le président français, Emmanuel Macron, et l’administration Trump se joue indirectement à quelques milliers de kilomètres de leurs capitales respectives, dans les sables de la vaste zone sahélo-saharienne, en proie à une instabilité politique chronique et à la violence des groupes djihadistes liés à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et à l’Etat islamique (EI).

Paris souhaite soutenir le déploiement de la force antiterroriste africaine dite du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) à travers une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui lui offrirait un soutien politique et une base légale. Les Américains et les Britanniques estiment quant à eux qu’une simple déclaration du Conseil suffirait.

« Un chèque en blanc »

Le nœud de la discorde touche au financement de cette force, qui pourrait coûter jusqu’à 400 millions de dollars par an (plus de 350 millions d’euros), selon les parties maliennes. L’Union européenne (UE) s’est engagée, lundi 5 juin, à mettre 50 millions d’euros sur la table pour équiper les 5 000 soldats, policiers et civils qui devraient être déployés dans le courant de l’année dans les zones transfrontalières entre le Mali, le Burkina Faso, le Niger et la Mauritanie. Mais ces pays, qui comptent parmi les plus pauvres au monde, espèrent un soutien financier supplémentaire de leurs alliés.

Or les Etats-Unis imposent à l’ONU de faire des économies à hauteur d’un milliard de dollars sur ses opérations de maintien de la paix (dont le budget total s’élève à près de 8 milliards de dollars). Ils refuseraient donc de signer un texte qu’ils considèrent comme « un chèque en blanc » et qui les engagerait, selon eux, à payer pour une force africaine dont ils doutent de la capacité à mener des opérations de contre-terrorisme. Selon des diplomates, Washington menacerait de mettre son veto à cette résolution.

Ce serait un affront pour le président Macron, qui a choisi le Mali pour faire ses premiers pas de chef des armées en venant saluer les troupes de l’opération française « Barkhane «, quelques jours après son élection, et qui s’apprête à revenir à Bamako, le 2 juillet, pour un sommet des chefs d’Etat du G5 Sahel.

Tractations au plus haut niveau

En coulisses, les tractations vont donc bon train, « au plus haut niveau entre Washington et Paris », selon un diplomate, pour trouver un terrain d’entente. En déplacement à Dakar jeudi, le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s’est dit « plutôt confiant » sur les chances de faire approuver par l’ONU la création de cette force antiterroriste.

Paris fait valoir le très large soutien apporté par les pays du Conseil de sécurité – y compris la Chine et la Russie, traditionnellement très sensibles aux questions de souveraineté –, ainsi que celui du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, qui a officiellement demandé, dans son rapport sur la situation au Mali, de soutenir cette initiative africaine.

Mais Washington semble bien décidé à compliquer les négociations, et des experts notent que « s’il y a une logique, sur le papier, à engager une force contre-terroriste, l’aspect opérationnel s’annonce beaucoup plus compliqué » et qu’il semble évident que « la France cherche avec cette force une stratégie de sortie pour Barkhane ».

Le texte en discussion, consulté par Le Monde, autorise les forces du G5 Sahel à utiliser « tous les moyens nécessaires » pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé – trafic de migrants et de drogue –, qui finance en grande partie les groupes terroristes. Sous la pression de Washington, Paris a déjà accepté de revoir sa première copie – jugée trop vague – et de préciser les groupes terroristes visés par cette force.

« La menace n’a jamais été aussi élevée »

« Nous ne pouvons pas laisser le Sahel devenir un havre de paix pour les terroristes du monde entier », avait plaidé François Delattre, le représentant de la France à l’ONU, lors de la présentation du projet de résolution au Conseil de sécurité, le 6 juin, arguant qu’il « serait irresponsable de la part du Conseil de ne pas se ranger derrière cette initiative régionale visant à combattre le terrorisme à travers les frontières au moment où la menace n’a jamais été aussi élevée ».

Cette initiative va dans le sens du renforcement des partenariats stratégiques engagés entre les Nations unies et l’Union africaine (UA) pour le maintien de la paix, estiment les diplomates français, qui s’interrogent ouvertement sur la logique de voter le renouvellement, début juillet, de la Mission de l’UA en Somalie (Amisom), une force africaine soutenue financièrement par l’ONU et qui lutte contre les terroristes Chabab. « Cette opération coûte 600 millions d’euros par an, dit l’un d’entre eux. Comment les Américains et les Britanniques pourront-ils justifier cette note s’ils s’opposent à la force du G5 Sahel ? »