Deux longs-métrages chinois devaient participer cette année à la compétition officielle du Festival international du film d’animation, à Annecy. Mais Nezha, la société qui a coproduit Have a Nice Day, de Liu Jian, a demandé in extremis le retrait du film, en raison de pressions du bureau du cinéma chinois. Les officiels n’avaient manifestement pas apprécié la projection de Have a Nice Day au 67e Festival international du film de Berlin. « Quand les films sont une démonstration de la puissance industrielle du pays, les autorités chinoises sont ravies de les montrer, indique Marcel Jean, le directeur du festival savoyard. Or Have a Nice Day a été fait par une petite poignée de personnes. Ce qui est politique ici, c’est la manière de travailler. »

Désormais seul film chinois de la compétition, Big Fish & Begonia, de Zhang Chun et Liang Xuan, parfait exemple de la qualité technique de l’animation chinoise actuelle et succès local de l’été 2016 – 20 millions de spectateurs en salle et près de 200 millions de téléchargements en ligne –, occupe une place particulière dans l’industrie cinématographique. A défaut de s’inscrire dans le monde contemporain comme Have a Nice Day ou de s’occidentaliser comme le studio Light Chaser, à Pékin, ses créateurs célèbrent la culture traditionnelle de leur pays.

Surnommé le « Miyazaki chinois » pour son goût prononcé pour le mélo et l’onirisme, Zhang Chun, né dans les années 1980, insiste : « Je pense qu’il va falloir deux ou trois générations pour développer un style chinois plus original car nous avons été bercés par les productions japonaises et américaines. Elles m’ont évidemment influencé, mais c’est bien la culture chinoise qui a principalement nourri le film. »

Big Fish & Begonia (Chinese movie) - Trailer

Spiritualité absconse

Inspiré par la peinture traditionnelle dite « shanshui » (montagne et eau), le film évolue chez les gardiens des lois de la nature, ca­pables de la faire pousser plus rapidement que prévu. Parmi eux, une jeune fille décide de rendre la vie à un homme mortellement blessé pour avoir tenté de la sauver. Elle devra veiller sur le défunt, alors transformé en bébé dauphin, jusqu’à ce qu’il grossisse suffisamment pour revenir dans le monde des hommes.

Une spiritualité qui peut être difficile à saisir dans toute son amplitude pour un public peu familier de la mythologie chinoise. Les distributeurs étrangers restent frileux. Pourtant, l’origine du projet est plus prosaïque. « Nous avons d’abord tourné un court-métrage dans le cadre d’un concours pour faire la publicité d’une boîte mail : le petit poisson qui devient gros était la métaphore du volume que pouvait engranger la messagerie », raconte Zhang Chun.

« Big Fish & Begonia » est aussi inoffensif que « Flipper le dauphin » ou « Sauvez Willy »

Alors que Have a Nice Day est un polar avec des personnages minables, qui ne joue ni sur le réalisme positif chinois ni sur les grands mythes – l’enjeu est dérisoire : un homme vole de l’argent pour payer la chirurgie esthétique de sa femme –, Big Fish & Begonia est aussi inoffensif que Flipper le dauphin ou Sauvez Willy.

Zhang Chun, impassible mais bavard, fronce les sourcils et se tait quand il est question de censure. « Ça doit être une histoire de visa », élude-t-il. Et pour cause. « 2014 a été une année importante pour nous, poursuit-il. L’Etat a ou­vert le marché du dessin animé, jusque-là réservé aux enfants, à un public adulte. Il nous a aidés financièrement après neuf ans de galère. »

« Réveiller les esprits »

Pour un shanshui plus retors, il est recommandé de se tourner vers les formes courtes projetées en salle ou dans l’exposition « Chine, art en mouvement », au château d’Annecy. « Comme les courts-métrages ne passent jamais dans les cinémas chinois mais sont destinés aux galeries là où le peuple ne va pas , ils ne relèvent pas du ministère de la communication et bénéficient d’une grande liberté », explique Marcel Jean.

Dans Before the Rain (2010), de Yang Yongliang, la montagne super-puissante de Big Fish & Begonia devient une illusion. Au fil de la projection, on découvre qu’elle est en fait composée de buildings. Une approche postmoderne de la reconstruction des paysages classiques. Et dans Chasing (2011), remarquable travail de Wu Chao et Xia Weilun, la montagne n’est plus qu’une dépression. Une vallée enneigée aux arbres morts, dans laquelle des poupons à cape rouge se coupent la tête pour la laver dans un lac. « J’ai eu besoin de faire une œuvre très critique, explique Wu Chao. Il faut bien réveiller les esprits, non ? » Aujourd’hui, les dessins animés plus abstraits de Wu Chao et Xia Weilun sont projetés dans quatre hôpitaux chinois, en salle de réanimation. Objectif : réveiller les comateux.