Bernard Tapie, lors d’une conférence de presse en mars 2014. | Jean-Paul Pelissier/Reuters

Le parquet de Paris a fait appel du jugement du tribunal de commerce daté du 6 juin, qui vient d’offrir une petite victoire à Bernard Tapie, en retardant le remboursement de sa dette de plus de 400 millions d’euros envers l’Etat, dans l’interminable affaire de la revente d’Adidas par le Crédit lyonnais de 1993. L’appel du parquet a été formé le 7 juin devant la cour d’appel de Paris, a appris Le Monde de sources judiciaires.

Dans sa décision du 6 juin, le tribunal de commerce a validé le plan de sauvegarde présenté par l’ex-patron de l’OM et propriétaire du journal La Provence, visant à protéger ses actifs en mettant ses sociétés holdings – Groupe Bernard Tapie (GBT) et Financière et immobilière Bernard Tapie (FIBT) – à l’abri des créanciers. Et à étaler, sur six ans, le paiement des 404 millions d’euros dus au Consortium de réalisation (CDR) – l’entité créée pour reprendre les actifs compromis de l’ex-banque publique –, grâce aux revenus que pourraient générer ses sociétés.

La sauvegarde est une procédure destinée à organiser le sauvetage d’une entreprise, plutôt que sa liquidation, en lui permettant de rembourser progressivement ses dettes dans le cadre d’un plan ad hoc. Or, la décision du tribunal de commerce d’opter pour une telle option, dans l’affaire Tapie, fait bondir le CDR, désireux de récupérer, au nom de l’Etat, un dû qu’il chiffre à 440 millions d’euros au total, intérêts et frais inclus.

Une décision qui « protège le train de vie de M. Tapie »

Car selon cet organisme public, le plan de M. Tapie et ses conseils ne garantirait pas le paiement in fine de la dette : « Cette décision est incompréhensible. Elle vise à protéger les avoirs et le train de vie de Monsieur Bernard Tapie, tout en retardant sans raison le remboursement de l’argent dû au CDR, donc aux Français, alerte François Lemasson, président du Consortium. Les flux de revenus censés permettre ce remboursement sont irréalistes et la plupart des biens apportés en garantie sont très largement surévalués et indisponibles car déjà frappés de saisies, cautions ou hypothèques. »

« Les actifs mentionnés dans ce plan n’ont que des coûts, pas de revenus, appuie Jean-Pierre Martel, conseil du CDR. Seule une réalisation de ces actifs peut permettre un remboursement de l’argent que M. Tapie a frauduleusement perçu. »

Le plan de sauvegarde obtenu par Bernard Tapie résulte d’une procédure opportunément enclenchée dès 2015. M. Tapie avait alors entrepris de protéger ses actifs, juste avant que ne tombe l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 3 décembre 2015, le condamnant à rembourser les 404 millions de 2008, dans le cadre d’un arbitrage controversé. Cette condamnation a été rendue définitive le 18 mai par un arrêt de la Cour de cassation.

Dans ce contexte nouveau, le CDR espérait que soit prononcée, le 6 juin, une saisie immédiate des biens de l’homme d’affaires, afin d’obtenir le remboursement sans délai de sa créance, au terme d’un quart de siècle de procédures judiciaires. Au lieu de quoi le tribunal de commerce a prolongé la sauvegarde, rendant de facto ses biens insaisissables, et validé le principe d’un remboursement sur six annuités : 5 % à la date anniversaire du plan, en juin 2018 ; 10 % en juin 2019 ; puis 15 % en 2020, 20 % en 2021 et 20 % en 2022, le solde de tout compte étant fixé pour 2023.

Pour les conseils du CDR, cet échéancier ne tiendra pas. Les rentrées financières promises par M. Tapie pour apurer sa dette, fondées pour l’essentiel sur l’activité de La Provence SA (la société propriétaire du journal éponyme), dont M. Tapie détient la majorité du capital par l’entremise de GBT, ne seront pas au rendez-vous. Quant aux actifs en garantie du plan, ils auraient été surévalués, affirme le CDR, à la faveur d’une expertise sollicitée par M. Tapie lui-même, et seraient déjà « gagés ».

« L’Etat rêve de mettre ma tête en haut d’un pique »

L’hôtel de Cavoye, situé à Paris, serait notamment « survalorisé » dans le plan à 92,5 millions d’euros, quand une précédente estimation de mars l’évaluait à 69 millions. La villa La Mandala de Ramatuelle (Var) vaudrait deux tiers de la valeur affichée. Quant à l’assurance-vie détenue par l’ex-patron de l’OM au Luxembourg, elle serait déjà l’objet d’une caution liée à un prêt. « Cette sauvegarde aurait pour effet de mettre La Provence sous pression financière et donc en danger. Ce ne sont pas des emplois qu’a préservés le tribunal de commerce, mais les intérêts de M. Tapie », ajoute le président du CDR.

Avant que le tribunal de commerce ne se prononce, la vice-procureure du tribunal de grande instance de Paris, Laetitia Felici, avait requis le rejet du plan et la liquidation judiciaire, au motif que « le projet de plan ne définit pas sérieusement les modalités de règlement du passif ».

Sollicité par Le Monde, Bernard Tapie réagit vigoureusement : « Il est temps que les avocats de l’Etat se plient aux décisions de justice comme tout le monde. Mon plan a été accepté. Ils ont perdu. L’appel ne met pas un terme à la décision du tribunal de commerce. L’Etat rêve depuis longtemps de mettre ma tête en haut d’un pique, il est temps que ça cesse ! »

Ainsi se poursuit le feuilleton judiciaire de l’affaire Tapie. En marge de l’appel du parquet, la cour d’appel de Paris a pris, le 13 juin, une décision favorable au CDR, en le nommant « contrôleur de la sauvegarde ». Un statut qui lui permettra d’accéder aux informations liées au plan, dont il était jusqu’ici privé, et d’être consulté sur les opérations importantes.

Sur le plan pénal, l’arbitrage de 2008 qui avait valu à M. Tapie de remporter les 404 millions fait l’objet d’une enquête, dans laquelle le parquet de Paris a demandé, en mars, un procès pour six protagonistes de l’époque.