Fauteuils colorés, coins cosy, meubles design : le saint des saints du train du futur, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) – nom de code Tech4Rail – évoque davantage un showroom scandinave que le laboratoire du professeur Nimbus. C’est pourtant ici que la compagnie ferroviaire nationale concocte ses projets les plus fous, au premier rang desquels le train sans conducteur dont la SNCF vient de révéler l’existence et la teneur.

D’ici deux ans, les premiers engins ferroviaires autonomes sillonneront les voies ferrées françaises, à commencer par un train-drone de marchandises, télépiloté depuis le sol et censé être opérationnel en 2019. Des trains de voyageurs automatiques lui succéderont à partir de 2022, si l’on en croit le planning de la SNCF.

Pas question de se passer d’une présence humaine

Dans le cadre d’un projet baptisé NExTEO, le RER E passera ainsi en conduite automatique dans sa partie parisienne, afin d’améliorer le cadencement dans cette zone dense de son trajet. Et puis, ce sera le vertige. Les premiers prototypes de TER autopilotés, effectuant des pointes à près de 200 km/h, et des TGV autonomes, lancés à plus de 300 km/h, emprunteront le réseau ferré national en 2022-2023.

Dans tous les cas, en présence de voyageurs, il n’est, pour le moment, pas question de se passer d’une présence humaine dans la cabine. L’opérateur continuera à ouvrir et à fermer les portes et devra intervenir lors de toute situation d’urgence.

Ce qui semble un rêve lointain existe déjà bel et bien. Depuis mai, des démonstrateurs de la SNCF réalisent des essais sur des voies dans des lieux tenus secrets. Ce sont des locomotives classiques équipées de capteurs – lidars (détection par laser), radars, caméras, à la manière des voitures autonomes – qui testent pour le moment essentiellement les fonctions de détection d’obstacles. Un de ces démonstrateurs sera présenté officiellement au public au troisième trimestre.

L’enjeu est planétaire

Retour dans les locaux de la recherche avancée de la SNCF. Huit salles numérotées de #1 à #8 correspondent aux huit axes de recherche phares définis par le comité exécutif. A tout seigneur, tout honneur, la première thématique est celle du train autonome, et occupe douze personnes à temps plein. « Je ne prétends pas résoudre une question aussi vaste avec une aussi petite équipe, explique Luc Laroche, le directeur du projet Train automatique. Nous nous appuyons sur l’ensemble des techniciens et ingénieurs de la SNCF. » C’est, en tout, une centaine de personnes qui se trouvent ainsi associées au projet.

Les thématiques #2 à #5 (intelligence artificielle, signalisation, localisation, sécurité aux passages à niveau…) sont intimement liées à l’avancée du train autonome. « L’un des enjeux de l’automatisation ferroviaire sur voie ouverte, c’est la précision de la géolocalisation, souligne Carole Desnost, directrice de l’innovation et de la recherche à la SNCF et patronne des lieux. Aujourd’hui, ce niveau de précision est de 1 mètre à 5 mètres. Pour qu’un train autonome se déplace en toute sécurité, nous devons atteindre un niveau de détail entre 70 centimètres et 50 centimètres. »

Un tel plan s’appuie aussi sur des coopérations extérieures. En premier lieu, avec les acteurs classiques du ferroviaire : Thales, Alstom – ce dernier en tant qu’industriel de référence du projet labellisé Trains du futur. Mais Mme Desnost, passée par PSA et Plastic Omnium, a mis dans le jeu des partenaires nouveaux – les équipementiers automobiles Continental et Valeo, par exemple –, qui apportent leurs savoir-faire en matière de technologie de conduite autonome et sur leur capacité à répondre vite aux donneurs d’ordre.

Urgence

Il faut dire qu’un sentiment d’urgence anime les équipes de la SNCF. L’enjeu est planétaire. Qui sera capable de réussir cette première mondiale du train sans conducteur ? En Asie, les préparatifs sont intenses : au Japon et surtout en Chine où les capacités de mobilisation de chercheurs et de capitaux sont spectaculaires. Les projets français s’effectuent d’ailleurs dans le cadre d’un programme européen, Shift2Rail, piloté par la Commission européenne et auxquels sont associés les grands acteurs ferroviaires britanniques, allemands et suisses.

« Etre premier n’a pas une grande importance, relativise Mme Desnost. Ce qui compte pour nous est de parvenir en temps et en heure aux objectifs définis. » Des objectifs de performance technologique, mais aussi économique. L’automatisation permet de faire rouler 25 % de trains en plus sur une même ligne. Sur Paris-Lyon, la fréquence quotidienne pourrait passer de treize à seize trains.

Le pôle de recherche de Saint-Denis ne se limite pas aux trains autonomes. Les thématiques #6 à #8 concernent l’efficacité énergétique – avec, par exemple, l’hybridation des trains diesel –, les matériaux intelligents ou la prospective en matière de nouvelles mobilités. Ce dernier axe inclut un autre Graal du transport, le projet de train à très haute vitesse Hyperloop auquel la SNCF s’est associée.