La décision est inédite. Vendredi 16 juin, un juge administratif a suspendu deux assignations à résidence « longue durée » décidées par le ministère de l’intérieur dans le cadre de l’état d’urgence. Romain et Mina H., un couple qui vit à Maubeuge (Nord), étaient assignés depuis décembre 2015.

Jusqu’alors, leurs différents recours devant la justice administrative avaient été vains. Ils font partie de cette dizaine de personnes assignées à résidence depuis plus d’un an, parmi les 68 actuellement visées par cette mesure qui oblige une personne à demeurer sur sa commune, à pointer quotidiennement au commissariat, parfois plusieurs fois, et à rester à son domicile tous les jours de 20 heures à 6 heures.

Le juge des référés du tribunal administratif de Lille a considéré que les assignations de Romain et Mina H. sont entâchées d’une « illégalité manifeste ». En effet, le ministre de l’intérieur « ne fait pas état d’éléments nouveaux ou complémentaires survenus ou révélés au cours des douze derniers mois de nature à justifier la prolongation » des arrêtés. Or, c’est une condition depuis une décision du Conseil constitutionnel de mars 2017. Les garants de la loi fondamentale ont en effet estimé que les assignations ne peuvent être prolongées au-delà d’un an que si l’administration produit des éléments nouveaux ou complémentaires à même d’attester que le comportement de la personne constitue « une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ». Une façon d’encadrer cette disposition particulièrement restrictive des libertés fondamentales, notamment celle d’aller et venir et de mener une vie privée et familiale normale.

Appel du ministère de l’intérieur

Le ministère de l’intérieur a cependant fait appel de la décision du tribunal administratif de Lille et une audience doit se tenir au Conseil d’Etat lundi matin 19 juin. « Nous sommes éminemment étonnés, voire outrés, de l’appel du ministre. Il faut croire qu’accepter la décision du tribunal administratif, ce serait un aveu de faiblesse et d’erreur de la part du gouvernement », a réagi Me Ainhoa Pascual, qui défend le couple aux côtés de Me Ludivine Herdewyn.

Dans son appel, que Le Monde a consulté, le ministère de l’intérieur considère pour sa part que le juge de Lille a méconnu des éléments nouveaux. Il fait valoir qu’une perquisition du domicile du couple, en septembre 2016, a mis en évidence une consultation régulière de « sites djihadistes en ou en faisant l’apologie ». Des poursuites ont été engagées à l’encontre de Romain H. mais elles ont été abandonnées à la suite de la censure par le Conseil constitutionnel du délit de consultation de sites djihadistes.

Le ministère de l’intérieur rappelle aussi que le couple n’a pas respecté son assignation lorsqu’il a déménagé, en novembre 2016, « sans aviser les autorités du changement de domicile ». Les époux ont pour cela été condamnés à 500 euros d’amende avec sursis. Puis, en janvier 2017, Romain H. est arrivé à un pointage avec quarante minutes de retard. Il a de nouveau été condamné, cette fois à un mois de prison ferme avec mandat de dépôt.

« Aucune poursuite »

Le Conseil d’Etat doit donc examiner lundi si ces faits justifient une assignation « longue durée ». Il s’est déjà penché sur ces éléments puisque, en mars, le couple de Maubeuge avait porté un recours devant la plus haute juridiction administrative. Le Conseil d’Etat avait alors donné raison au ministère de l’intérieur. Il doit à nouveau se prononcer alors que le couple fait l’objet d’une nouvelle assignation (au-delà de douze mois, une assignation est renouvelée tous les trois mois). « Il faut que le Conseil d’Etat réexamine ces éléments pour voir s’ils traduisent toujours aujourd’hui une menace persistante », explique Me Ludivine Herdewyn.

Pour les avocates du couple, ce n’est pas le cas. Me Pascual en veut pour preuve une nouvelle perquisition du domicile du couple, en décembre 2016 : « Le ministère n’en fait pas état mais elle n’a donné lieu à aucune poursuite et elle montre qu’il n’y a pas eu de nouvelle consultation de sites ». Romain H. appuie : « J’ai fait une erreur, je ne me suis pas renseigné [sur Daech] de la bonne manière, mais ce n’est pas pour autant que j’ai adhéré à leurs idées et que je suis un terroriste. » A quelques heures de se présenter devant le Conseil d’Etat, Romain H. redoute de « parler dans le vent » et que l’Etat ne « reconnaisse jamais s’être trompé. Avec mon épouse, on se dit qu’on va nous assigner à vie et nos enfants après ».