Le 15 juin, des bacheliers se sont inquiétés sur Twitter d’avoir cité le groupe français de rap PNL dans leur copie de philosophie du baccalauréat. Il faut reconnaître que c’était tentant. Le sujet des séries technologiques était « Pour trouver le bonheur, faut-il le rechercher ? ». Or, une chanson de PNL s’intitule Chercher le bonheur. Les élèves ont fait le rapprochement et ont cité les deux rappeurs qui composent le groupe, originaires de la cité des Tarterêts, à Corbeil-Essonnes (Essonne).

A priori, rien n’interdit de citer un élément de la culture dite « populaire » dans une copie de philosophie. Une chanson, un film, une bande dessinée… C’est autorisé, du moment que l’étudiant s’en sert à bon escient.

Il n’y a pas de mauvais exemples, seulement de mauvais usages

Comme l’explique Thomas Schauder, professeur de philosophie au lycée Jean-Prévost de Montivilliers (Seine-Maritime), citer PNL était tout à fait possible. Et, pour ceux qui l’auraient fait, cela « ne devrait pas leur faire perdre de points », assure-t-il. Mais il ne fallait pas s’en contenter, « cela peut-être une étape, pour aller vers quelque chose de plus constructif », ajoute-t-il.

Si, lors du baccalauréat de philosophie, il s’agit de montrer sa capacité à argumenter, « il s’agit aussi de montrer son érudition », explique Thomas Schauder. Or, sur ce plan, une référence à Descartes ou à Socrate fera plus la différence qu’une citation de PNL, car elle montre que l’étudiant a lu et compris la pensée d’un philosophe.

Mais la citation, même érudite, ne peut pas « sauver » une argumentation faible. « Il est plus important de montrer que l’on a compris que de recopier une citation apprise par cœur », rappelle Thomas Schauder.

On serait donc tenté de conclure qu’il n’y a pas de mauvais exemples, seulement de mauvais usages de ces derniers. « Les élèves ont parfois tendance à confondre un exemple et un argument, relève le professeur, dérangé en pleine séance de correction. C’est là qu’est le problème : quand on cite quelque chose en se disant que c’est vrai parce qu’on l’a lu dans un livre. C’est ce qu’on appelle un argument d’autorité. » C’est-à-dire que sa provenance qui lui conférerait de la valeur.

Pour illustrer ce problème, prenons l’exemple le plus outrancier : Baloo, l’ours débonnaire et ami de Mowgli dans Le Livre de la jungle. « Il en faut peu pour être heureux », chante l’animal. Baloo est régulièrement cité dans les copies de philosophie lorsque le sujet porte sur le bonheur.

Si l’étudiant écrit « comme le dit Baloo, “il en faut peu pour être heureux” », cela ne fonctionne pas, car la référence est utilisée comme un argument d’autorité. Or, on l’a vu, l’argument d’autorité est à proscrire. « En revanche, nuance Thomas Schauder, un étudiant peut utiliser Baloo comme un tremplin pour construire son raisonnement, en remettant en cause ce qu’il dit. »

On peut écrire, par exemple, que, « selon une maxime de sagesse popularisée par Le Livre de la jungle, il en faut peu pour être heureux ». « Mais la simplicité est-elle la seule clé du bonheur ? » pourrait-on poursuivre.

« La philosophie se nourrit de tout »

Dans l’usage des références populaires, toute la profession n’est cependant pas d’accord. « Certains professeurs préféreront toujours voir des références dites “classiques” », prévient M. Schauder. Y compris celles qui se situent en dehors du corpus des textes philosophiques.

A choisir entre Jean-Luc Godard et Star Wars, on choisira alors sans doute le premier. « Il est toujours moins risqué de citer une œuvre de référence, juge Thomas Schauder, parce que, par définition, elle fait consensus. »

« Il faut distinguer le contexte du bac, dans lequel les étudiants doivent montrer qu’ils connaissent des auteurs, et la pratique de la philosophie en général », explique encore M. Schauder. Mais en gardant en tête que la philosophie « se nourrit de tout, y compris d’exemples contemporains célèbres à une époque et qui ne le sont plus aujourd’hui ».

Prenons par exemple les Salons de Denis Diderot, qui sont des critiques d’expositions de peinture à partir desquelles le philosophe et encyclopédiste développe des considérations sur l’esthétique. Qui connaît encore la majorité des peintres dont il parle, à part les spécialistes ?

« A mon avis, mais ça n’engage que moi, il n’y a pas de mauvaises références en philosophie, conclut Thomas Schauder, car la philosophie n’est pas une matière élitiste, elle se nourrit de tout. Toutes les structures de Star Wars sont des structures mythiques, donc en termes de ce que cela nous donne à penser, c’est pareil ».

Attention simplement à choisir des références suffisamment riches pour pouvoir développer le sujet. Comme le rappelle Aïda N’Diaye, une professeure de français interrogée par Slate à propos des références non académiques dans les copies, la chanson n’est peut-être pas la meilleure mine d’idées. « Cela peut servir d’ouverture par exemple, s’il y a dans le texte quelque chose qui se rapporte au sujet, mais dans la copie c’est souvent maladroit car à part citer une partie des paroles, on n’a souvent pas grand-chose de plus à dire sur une chanson. »