Après avoir été accusée de censure, Arte va finalement diffuser le documentaire Les Nouveaux Visages de l’antisémitisme, mercredi 21 juin à 23 heures. Le 26 avril, la chaîne franco-allemande avait d’abord rejeté ce film, réalisé par les documentaristes allemands Joachim Schroeder et Sophie Hafner, au motif qu’il ne répondait pas à la commande validée par la conférence des programmes, en avril 2015.

Selon le directeur des programmes d’Arte, Alain Le Diberder, le documentaire ne contenait nulle trace de la coopération du psychologue israélien d’origine arabe Ahmad Mansour, sur lequel la chaîne comptait pour garantir l’équilibre du film. Reconnu outre-Rhin comme un porte-parole d’un islam modéré, cet intellectuel qui n’a cessé de dénoncer l’antisémitisme des fondamentalistes musulmans, était devenu consultant du film en cours de route, renonçant à sa qualité de coauteur.

La chaîne reprochait également aux réalisateurs de ne pas avoir présenté « le panorama annoncé de l’antisémitisme en Europe ». En effet, bien qu’ayant enquêté en Hongrie et en Grande-Bretagne, les auteurs avaient décidé de se passer de ces séquences pour se concentrer sur l’Allemagne, la France, Israël et Gaza.

Une décision critiquée en Allemagne

En Allemagne, le refus d’Arte a immédiatement provoqué des remous. Interviewé par une dizaine de médias, dont le Berliner Zeitung, la Deutschlandfunk et le Stuttgarter Zeitung, le réalisateur Joachim Schröder a dénoncé « la censure » exercée par la chaîne franco-allemande : « Arte France a toujours été réticente pour donner son feu vert, expliquait-il au Monde. Je suis allé à Strasbourg pour rencontrer Marco Nassivera, le directeur de l’information d’Arte, qui m’a dit : “Il faut que vous compreniez que le sujet est très délicat en France. Nous sommes coincés entre les lobbies juif et musulman. C’est la raison pour laquelle la conclusion de ce documentaire doit rester indéterminée.” Je n’ai rien dit, j’ai juste souri, car j’avais besoin de son accord pour continuer le film. »

Des historiens allemands, tels Götz Aly et Michael Wolffsohn, ont pris sa défense dans la presse allemande. La polémique a ensuite débordé en France après que le journaliste Luc Rozensweig a dénoncé dans Causeur la décision d’Arte de faire passer à la trappe ce documentaire, au motif qu’on « y met trop en lumière la haine antijuive qui progresse dans la sphère arabo-musulmane et dans une certaine gauche obsédée par l’antisionisme ».

Mais c’est surtout le retentissement des articles parus dans Spiegel et dans Bild – le tabloïd a même diffusé le documentaire sur son site pendant vingt-quatre heures –, largement relayés par les réseaux sociaux, qui a obligé Arte à revoir sa position.

Le film est un « brûlot »

La chaîne publique Westdeutsche Rundfunk (WDR), l’une des onze stations allemandes à alimenter Arte Deutschland, qui avait initialement porté le documentaire avant de se désolidariser des deux réalisateurs, a alors décidé de le diffuser sur la première chaîne allemande, ARD, le 21 juin en deuxième partie de soirée, complété par un débat.

« Cette décision crée une situation nouvelle : les téléspectateurs allemands ayant accès à cette émission dès mercredi, il convient de faire en sorte qu’il en soit de même pour les Français. C’est pourquoi Arte reprendra sur son antenne le signal de l’ARD et, ainsi, diffusera dans les mêmes conditions en France et en Allemagne le documentaire suivi du débat », a expliqué Arte dans un communiqué publié mardi.

Interrogé par Le Monde, Alain Le Diberder avait estimé que le film était un « brûlot ». Pour autant, il assurait que là n’était pas la raison du rejet du documentaire. « Nous n’avons jamais eu peur de diffuser des films à thèse, se défendait-il. Nous avons retransmis des documentaires sur les problèmes d’intégration des musulmans en France, sur l’islam et Jésus, ainsi que sur les juifs et les musulmans. »

Après avoir assuré qu’elle ne diffuserait pas ce film sous la pression publique, la direction de la chaîne franco-allemande, qui fêtait le 30 mai ses vingt-cinq ans d’existence, a donc préféré éteindre la polémique.