Appelés aux urnes le 30 juillet pour élire leurs députés, les électeurs sénégalais risquent d’avoir le tournis. Ils vont devoir choisir parmi les candidats de 47 listes différentes, un fait inédit dans l’histoire du pays : lors des législatives de 2012, 24 listes étaient en compétition. Cette offre politique pléthorique n’est pas sans poser des problèmes d’organisation qui pourraient décourager les électeurs.

  • Des bureaux de vote saturés

Conformément au Code électoral, l’électeur qui arrive dans le bureau de vote doit d’abord vérifier si son nom figure sur les listes du fichier électoral. Ensuite, il doit obligatoirement prendre chacun des 47 bulletins avant d’aller dans l’isoloir pour en choisir un.

« Un électeur consacrera au moins quatre minutes pour s’acquitter de son devoir citoyen, et un bureau de vote compte en moyenne 600 inscrits. Si la moitié d’entre eux se rendent aux urnes, ils mettront vingt heures pour voter », calcule Ndiaga Sylla, coordonnateur du département « démocratie et processus électoraux » au sein du Groupe de recherches et d’appui conseil pour la démocratie participative et la bonne gouvernance (Gradec), qui conclut : « C’est impossible, même si on repousse à minuit la fermeture des bureaux, initialement prévue à 18 heures. »

A ce risque d’embouteillage devant l’isoloir s’ajoute celui du manque de place dans les bureaux de vote. Chacun des 47 candidats devant avoir un représentant sur place, il ne serait pas étonnant de retrouver plus de 50 individus dans chaque bureau, en intégrant le président de jury et les représentants de la Commission électorale nationale autonome (CENA).

  • Des bulletins qui se ressemblent

Les confusions sur les listes risquent de se multiplier le jour du vote, car plusieurs bulletins se ressemblent en termes de couleurs, de disposition graphique et parfois même d’appellation.

Dans un communiqué daté du 13 juin, la professeure de droit Amsatou Sow Sidibé, leader de la coalition Troisième voie politique/Ettu Askan Wi, a accusé Cheikh Tidiane Gadio, ancien ministre des affaires étrangères sous Abdoulaye Wade et leader de la coalition Pôle alternatif/Troisième voie/Sénégal Dey Dem, d’avoir plagié le nom de sa coalition. Selon la juriste, la présence de l’expression « troisième voie » sur les deux listes risque de semer la confusion chez les électeurs le jour du vote.

  • Des médias dépassés

Du côté de la télévision nationale, la RTS, les 47 listes représentent un casse-tête difficile à résoudre concernant la répartition du temps de parole. En 2012, chaque parti ou coalition disposait de trois minutes de temps d’antenne. Cette année, avec un nombre de listes multiplié par deux, le passage des différents candidats à la télévision pourrait occuper une soirée entière…

Par ailleurs, les chaînes publiques devront disposer de nombreuses équipes techniques pour un traitement équitable entre les différents protagonistes. D’où l’appel lancé par Mamadou Ibra Kane, président du Conseil des éditeurs et diffuseurs de la presse, qui demande au gouvernement d’apporter un soutien financier et logistique aux médias. « Si le gouvernement n’intervient pas, il sera difficile, voire impossible, pour la presse de couvrir ces élections », a-t-il averti.

  • Un risque accru d’abstention

Jointe par Le Monde Afrique, Penda Mbow, représentante du président Macky Sall à la Francophonie, estime que cette kyrielle de listes mènera « inéluctablement » à un fort taux d’abstention.

Un phénomène que confirment des citoyens interrogés dans la rue, comme Aissata Diallo, mère de famille trentenaire du quartier Liberté 6, à Dakar : « Je n’irai pas perdre mon temps devant un bureau sans même avoir la certitude de pouvoir voter. Chez moi, bien des tâches m’attendent, et je n’ai pas beaucoup de temps à perdre. »

En 2012, 3,4 millions d’électeurs sénégalais n’avaient pas jugé utile de se déplacer pour élire leurs représentants à l’Assemblée nationale, soit 63 % des inscrits.