Une affiche représentant le roi d’Arabie saoudite, Salman , entouré de son fils Mohammed Ben Salman (à droite) et  du ministre de l’intérieur, le prince Mohammed Ben Nayef, à Taëf le 4 avril. | Amr Nabil / AP

Editorial du « Monde ». De santé fragile, âgé de 81 ans, le roi d’Arabie saoudite, Salman, a décidé que le visage de son pays au XXIe siècle serait celui de l’un de ses fils, un jeune homme de 31 ans, Mohammed Ben Salman, volontiers impulsif, déjà doté de vastes pouvoirs et appelé à régner sur ce pays-clé du Golfe à un moment où la région traverse de graves tensions. Ce n’est pas forcément rassurant.

Dans un décret royal, mercredi 21 juin, Salman a nommé son fils, surnommé « MBS », prince héritier, en lieu et place du ministre de l’intérieur, le prince Mohammed Ben Nayef. Jusqu’alors, c’est ce dernier qui assumait la fonction de prince héritier et MBS n’était qu’en deuxième position. Mais il en va ainsi dans la maison des Saoud : le roi décide, les princes s’inclinent (de plus ou moins bonne grâce).

Héritage du fondateur de la dynastie et de l’Arabie saoudite moderne, le grand roi Ibn Saoud, le système est suffisamment opaque pour que l’on ne se risque pas à annoncer que le roi Salman pourrait bientôt se retirer pour raisons de santé. Mais l’hypothèse est plausible.

Ce qui est sûr, en revanche, c’est que MBS voit son pouvoir renforcé. Le voilà, tout à la fois, ministre de la défense, vice-premier ministre, chargé de la réforme de l’économie, et prince héritier. Il a la haute main sur les affaires du royaume – 31 millions d’habitants, l’un des tout premiers producteurs d’hydrocarbures du globe, allié le plus proche des Etats-Unis dans le monde arabe. Son frère, le prince Khaled Ben Salman, est l’ambassadeur saoudien à Washington.

En politique régionale, MBS est un « dur ». Il est décidé à contrer l’influence montante de l’autre puissance régionale, l’Iran. Il accuse la République islamique de « vouloir prendre la tête du monde musulman ». Il perçoit la main de « l’impérialisme perso-chiite » en Irak, en Syrie, à Bahreïn, au Yémen, au Liban. Depuis trois ans déjà, ministre de la défense, il mène au Yémen une guerre dévastatrice contre une rébellion locale, celle des houthistes, qui passe pour être soutenue par Téhéran. Sous le choc de bombardements aveugles, des millions de Yéménites sont aujourd’hui menacés de famine.

Un réformateur

L’impulsivité du jeune homme inquiète une partie du gouvernement américain. Si sa promotion a été saluée par Donald Trump, le département d’Etat, que dirige Rex Tillerson, est moins enthousiaste. A Washington, un porte-parole vient de dénoncer une initiative prise il y a quinze jours par « MBS » : la mise en quarantaine du Qatar, émirat voisin que Riyad accuse, entre autres, de sympathie pro-iraniennes. La « ligne MBS » – soutenue par la Maison Blanche et par Israël – est celle de la poursuite de l’affrontement avec l’Iran sur le théâtre régional, notamment en Syrie.

Sur le plan intérieur, MBS se veut un réformateur. Il entend sortir le pays d’une gestion économique où la rente pétrolière sert à subventionner chaque famille saoudienne. Il faut favoriser le secteur privé et diminuer l’énormité du budget de l’Etat. Partisan d’une « libéralisation sociétale » prudente, MBS a la faveur d’une jeunesse qui forme plus de la moitié de la population du royaume.

La question est de savoir si, dans sa volonté réformatrice, il renoncera à cette version cauchemardesque de l’islam – rétrograde et violente – qui est celle du royaume, qui sert de base idéologique au djihadisme et que les Saoudiens exportent dans le monde entier. Il n’y a sur ce sujet guère plus de visibilité qu’un jour de vent de sable dans le désert du Nejd.