Ribbon Girl (à gauche) met une télé-droite à Spring Boy (à droite). | Nintendo

« Tu joues avec les boutons ou en bougeant la manette ? » La question peut paraître anecdotique. Elle n’a jamais paru aussi cruciale que depuis qu’est sorti Arms, le curieux jeu de boxe de Nintendo, vendredi 16 juin, sur Switch. La première licence originale de la console hybride se joue en effet de deux manières différentes, et l’indécision qui agite ses joueurs en dit long sur les paradoxes de son concept.

Fondamentalement, Arms est un jeu de combat, en un contre un ou en deux contre deux. Des lutteurs aux bras élastiques se font face dans des rings fantaisistes, s’arrosant à qui mieux mieux de jabs boomerang, de directs du gauche à ressorts et de coups de marteaux propulsés, dans une sorte de match de boxe entre clones de l’Inspecteur Gadget. Surtout, le jeu laisse la possibilité d’utiliser une manette classique pour se défendre, comme d’empoigner dans chaque main une des demi-lunes de la Switch, les Joy-Con, pour se muer en Cassius Clay du canapé.

ARMS - Nintendo Switch Presentation 2017 Trailer

C’est peu dire que chacune des deux solutions a ses adeptes et ses allergiques. On a vu un bambin de cinq ans bondissant au cœur du salon, moulinant ses petits poings dans le vide comme un kangourou de dessin animé, dans de francs éclats de rire. On a également vu un collègue, par ailleurs joueur émérite et critique reconnu, se défaire de ses Joy-Con avec flegme et dédain, pour mieux se tapir, tel un crocodile impassible et redoutable, au fond du canapé, manette classique entre les mains, pour mieux gagner en précision et moins risquer la défaite.

Entre « Wii Boxing » et « Street Fighter »

Pourquoi tant de désaccord ? Sans doute parce que Arms n’est ni tout à fait une expérience foraine, comme l’épreuve de boxe de Wii Sports, ni tout à fait un jeu de combat classique et technique comme un Street Fighter IV, mais les deux à la fois sans l’être chacun complètement. A jouer en même temps sur les deux tableaux, il met en valeur cette fine frontière qui les a si souvent séparés, celle où le convivial flirte avec le compétitif, l’expérimental avec le sportif, la découverte avec la maîtrise.

Pourquoi joue-t-on à Arms ? Pour essayer ? Pour gagner ? Le jeu de Nintendo excelle à brouiller les pistes, et son producteur, Kosuke Yabuki, entretient lui-même l’ambiguïté, jurant n’avoir d’autre priorité que l’amusement du joueur, sans écarter la possibilité qu’émerge une pratique relevant de l’e-sport. Certes les deux ne sont pas incompatibles, bien au contraire ; mais jamais jusqu’à présent un développeur de jeu vidéo n’avait en même temps intronisé un nouveau dispositif de contrôle et rêvé d’une adoption compétitive.

Sur le papier, rien n’est plus cohérent. Les bras que l’on bouge et les bras qui frappent sont séparés d’une dimension, les uns appartiennent à la réalité, les autres au virtuel, mais c’est un même geste qui les lie, et, jolie métaphore de leur morphologie élastique, les gants de boxe loufoques des personnages sont le prolongement lointain mais fidèle des petits coups de poignets mal agiles qu’agite le joueur depuis son propre salon. Il y a dans Arms une poésie du quatrième mur – celui de l’écran.

Subtil avantage aux kangourous

Jouer avec ses points présente cependant un avantage bien précis. Grâce aux deux demi-lunes, le joueur-kangourou dispose d’un geste supplémentaire, la possibilité d’incurver chacun de ses deux poings dans un sens différent. L’avantage est certain, une grande partie des matchs consistant à contourner la défense adverse. Les meilleurs joueurs, assurent les développeurs, sont ceux qui bougent les poings plutôt que ceux qui pianotent sur les boutons. Arms est cet étonnant jeu de combat dans lequel le joueur-kangourou, celui qui s’est fait les biceps avec Wii Sports plutôt que les pouces sur Street Fighter IV, part avec un avantage.

Que celui-ci ne fanfaronne pas. Rien ne sera donné. Le joueur-crocodile dispose tout de même d’un certain confort supplémentaire : le luxe de se déplacer de manière rapide et précise, au stick analogique, quand son homologue doit pencher ses gants virtuels et composer avec l’inertie de tout dispositif de reconnaissance de mouvement. Il faudra ensuite amadouer ce système de jeu atypique et peu intuitif, dans lequel chaque bras lancé dénude son possesseur pendant un trop long instant. Les mouvements sont lents, les matchs colorés mais âpres, les dimensions techniques et surtout tactiques difficiles à déployer de prime abord. Bref, de vrais matchs de boxe entre kangourous, intenses et foutraques, mais non moins intéressants. Il ne faut jamais sous-estimer les kangourous.

En bref

On a aimé

  • La direction artistique manga-stabylo Bic fluo
  • Les personnages originaux et bien différenciés
  • Les nombreuses subtilités
  • Il y a un mode volley-ball

On n’a pas aimé

  • L’inertie pénible
  • Assez confus à quatre
  • Contrôles étranges

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous cherchez un jeu de combat pas comme les autres
  • Vous voulez pratiquer Wii Boxing à un nouveau niveau
  • Vous êtes un kangourou (et vous savez tenir une manette)

C’est plutôt pas pour vous si…

  • « Comment ça, un jeu de combat sans croix directionnelle ? »
  • Vous êtes l’Inspecteur Gadget et vous êtes dégoûté de ne pas être au casting
  • Vous être membre de l’association de lutte contre les couleurs fluo

La note de Pixels
Un gant sur deux.