Le défi néo-zélandais semble voler sur l’eau, devant le défi américain dans la deuxième manche de la Coupe de l’America, aux Bermudes. | Gilles Martin-Raget / AP

Quatre ans que les Néo-Zélandais attendent ce moment. Du 24 au 27 juin, 4,5 millions d’âmes prieront aux antipodes pour que l’épilogue de cette 35e Coupe de l’America ne répète pas celui de San Francisco en 2013. Mener 8-1, être à un point de la victoire, pour finalement perdre 9-8, cela vous traumatise une nation.

Et après quatre années de rumination collective, les Kiwis se sont imposés lors des quatre premiers matchs de cette finale pour mener 3-0 – Oracle bénéficiait d’un point de bonus pour avoir remporté la première phase des qualifications. Il manque quatre points aux Kiwis pour reprendre l’aiguière d’argent que cette grande nation de la voile a déjà soulevée à deux reprises, en 1995 et 2000.

Rien n’est encore joué, pourtant, dans cette folle Cup volante. A plus de 30 nœuds, la moindre erreur, sur une manœuvre ou le degré d’angle de foil, sanctionne le bateau coupable. Les Américains, qui visent la passe de trois, vont tout faire pour se remettre en selle, emmenés par les Australiens James Spithill et Tom Slingsby, son fidèle tacticien. Cependant, la tâche s’annonce compliquée tant la différence de performance des bateaux est grande.

Liberté du barreur

« Dès la première course, on a senti les Américains fébriles », note Michel Desjoyeaux, consultant technique pour le défi Groupama Team France. « En regardant la finale des Challengers [remportée par les Néo-Zélandais contre Artemis], ils savaient qu’ils n’étaient pas au niveau. Et face à une équipe efficace et surmotivée, ça ne pardonne pas. » En vitesse pure, aux allures de portant (vent de travers) ou au près (au plus près du vent), Aotearoa (nom maori de la Nouvelle-Zélande) surpasse le bateau américain. Mais ce qui impressionne le plus Yann Guichard, skipper de l’équipage Spindrift et spécialiste ès multicoques, c’est leur maîtrise du bateau : « Parce que le barreur barre et ne s’occupe de rien d’autre. »

Cette liberté qui paraît anodine ne l’est pas sur ces bolides des mers bourrés de technologie, où l’assiette du bateau et la hauteur des foils, qui permettent de voler sur l’eau, doivent se contrôler en permanence. Cette tâche qui incombe en partie au barreur chez leurs concurrents, est, sur le bateau néo-zélandais, entièrement dévolue aux coéquipiers de Peter Burling qui, autre spécificité kiwi, actionnent les pompes hydrauliques à la force des jambes et non à la force des bras. Une innovation qui améliore au passage sensiblement leur aérodynamique.

Les « cyclistes » du défi néo-zélandais pédalent pour actionner les pompes hydrauliques du bateau, une innovation qui leur a donné un avantage tout au long des régates. | Gregory Bull / AP

« C’est plus une question d’idées que de concept, précise l’architecte naval Juan Kouyoumdjian. Les Anglais avaient un concept de bateau très proche de la Formule 1 mais pas forcément d’idées derrière. En fin de compte, leur concept n’a pas marché et les idées des néo-zélandais si. » Pour Franck Cammas, le skipper de Groupama Team France, cette différence de niveau est le fruit d’une accumulation de détails où rien n’a été laissé au hasard et surtout un projet fondé sur la durée. « Les Néo-Zélandais ont un défi sur la Coupe depuis 1992 et ont disputé six finales sur les sept dernières. Leur force est d’avoir su créer une continuité d’une coupe à l’autre. Mais attention, les Américains n’ont pas dit leur dernier mot », prévient Cammas, qui espère bien un retour d’Oracle dans cette finale.

Incertitude sur l’avenir

Cela n’assurerait pas le spectacle aux Bermudes, mais une victoire américaine pérenniserait un modèle économique accolé au sponsoring et à la marchandisation des droits TV, et non plus sur le mécénat. Or, sur les six concurrents de la Coupe, seuls les Néo-Zélandais n’ont pas signé le « Framework Agreement », un accord tacite de reconduction de ce format.

En cas de victoire kiwi, nul ne sait ce qu’ils décideront de faire. En vertu du « Deed of Gift », les règles de base qui régentent la vénérable Coupe depuis 1852, le vainqueur peut faire ce que bon lui semble. Décider de revenir aux monocoques ? Fin des foils ? Retour vers des éditions quadriennales et non plus biennales, comme souhaité par les autres équipes ? « Si on revient aux monocoques et à des courses qui durent une heure, ce serait une faute de communication et un mauvais message envoyé au public », tranche Michel Desjoyeaux.

Cependant qui d’autre que Larry Ellison, le milliardaire propriétaire d’Oracle et ordonnateur de ce format, peut financer à la fois un tel dispositif télévisé et les World Series, circuit parallèle à travers le monde entre deux éditions de la Coupe ? Comme depuis 1851, cette question se réglera d’abord sur l’eau.