Des policiers, le 13 septembre, dans le Nord de la France (photo d’illustration). | PHILIPPE HUGUEN / AFP

« Un jour, ça finira mal. » Amel (le prénom a été changé) se souvient aujourd’hui avec amertume des mots que lui répétait son frère comme un leitmotiv, las des contrôles policiers à répétition dont il faisait l’objet. Jeudi 15 juin, ce jour est arrivé. Akram, 24 ans, a percuté en scooter un véhicule à l’arrêt, alors que la police tentait de l’interpeller, dans le cadre d’une enquête pour trafic de stupéfiants, au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis).

Depuis, le jeune homme, qui souffre d’un grave traumatisme crânien et d’une pneumopathie, a été plongé dans un coma artificiel dont il peine à se réveiller, malgré les tentatives du personnel médical de la Fondation Rothschild, où il est hospitalisé. Sa famille a déposé plainte mardi 20 juin à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour « violence volontaire par personne dépositaire de l’autorité publique et non assistance à personne en danger ». Une enquête préliminaire a été ouverte.

Pour l’heure, aucun témoin de la scène n’a été interrogé. Les enquêteurs ont seulement en leur possession les procès-verbaux des trois fonctionnaires de la brigade parisienne à l’origine de l’intervention au Pré-Saint-Gervais. Des documents réalisés, comme le veut la procédure, à la suite des interpellations qu’ils ont menées ce jour-là. Comme à l’accoutumée dans des dossiers de violences policières, les versions divergent, inconciliables.

Geste de protection ou de neutralisation ?

Il est 13 heures, jeudi 15 juin, et la journée s’écoule comme toutes les autres entre les murs couleurs briques de la place Séverine : des ouvriers font tourner leur marteau-piqueur, des commerçants profitent du soleil devant leurs échoppes, et de jeunes dealers attendent le chaland. Soudain, des policiers « en surveillance sur le point de vente de stupéfiants » passent à l’action, « après avoir observé plusieurs transactions » et « acquis la certitude que le trafic était établi », fait savoir une source proche de l’enquête.

Deux vendeurs et deux acheteurs sont alors interpellés, rapporte la préfecture de police de Paris, qui précise qu’un « cinquième protagoniste, monté sur un scooter, ne portant pas de casque, a pris la fuite ». Il s’agit d’Akram, suspecté par les enquêteurs d’être « un rabatteur », chargé de repérer la police et d’orienter les clients.

Ce jour-là, le jeune homme n’a pas repéré le policier, « caché derrière une file de voitures », précise une source proche de l’enquête. Le fonctionnaire se met alors en travers de son chemin et lui intime de s’arrêter, rapportent les témoins et les policiers. C’est ensuite que les versions divergent. Selon la préfecture de police de Paris, le jeune « a foncé délibérément sur un policier qui s’est protégé » d’un geste du bras, provoquant sa chute. Selon les témoins présents sur place, « le policier a surgi de nulle part et a poussé Akram pour le stopper ».

« Le but de l’enquête sera de savoir si c’était un geste de protection ou de neutralisation », résume Me Paul Sin Chan, l’avocat de la famille de la victime, qui précise que les investigations devront également déterminer si « le fonctionnaire a agi de façon légitime et proportionnée à la menace » et « s’il présentait des indices apparents de sa fonction ». Comprendre : le policier portait-il un uniforme, un brassard ou était-il en civil ?

« Parchocage »

Amel, la sœur d’Akram, se demande, elle, « pourquoi vouloir interpeller à tout prix son frère, alors que cela risquait de le mettre en danger ? » Amal Bentounsi, la fondatrice d’Urgence notre police assassine, « connaît trop bien ces pratiques policières » – son frère, Amine, a été tué d’une balle dans le dos par un policier en 2012. « Foued, Curtis, Akram… », énumère-t-elle pour souligner que le cas du jeune homme de 24 ans est « loin d’être une exception ». Cela porte même un nom : « le parchocage », autrement dit le fait que des jeunes soient accidentés à la suite d’un contrôle de police.

« Nous recevons de plus en plus de témoignages de parents dont les enfants ont été victimes de telles situations », rapporte Amal Bentounsi, qui défend depuis cinq ans « la légitime défiance envers les policiers » et soutient de nombreuses familles dans leur combat judiciaire « pour faire reconnaître les cas de bavures policières ». « En tant que garant de la sécurité des citoyens, rien ne justifie qu’un policier bouscule un jeune homme, sans casque, sur un véhicule », résume la militante avec la colère calme de l’habitude.

D’autant que le jeune homme n’en était pas à son premier contrôle, lui qui est rentré plusieurs fois au domicile de ses parents avec « un œil au beurre noir ou un bras ankylosé », rappelle sa sœur. « Les policiers l’appelaient par son prénom : “viens te faire fouiller Akram”. C’était continu, mais à chaque fois, il ressortait libre, sans rien contre lui », ajoute-t-elle, avant de préciser que « les policiers connaissaient l’adresse de [son] frère s’ils voulaient l’interpeller ». Une source proche de l’enquête précise, elle, que le jeune était connu des services de police pour des affaires en lien avec le trafic de stupéfiants.

Rassemblement

Au-delà du contrôle policier d’Akram, des témoins ont dénoncé une mauvaise prise en charge du jeune homme après l’accident, estimant que « les mesures de sécurité n’ont pas été respectées ». « Deux témoins ont rapporté qu’Akram avait été soigné dans un premier temps par des ouvriers et non pas par les policiers », informe Me Sin Chan, qui participait jeudi 22 juin à un rassemblement d’une centaine de personnes en soutien à Akram, au Pré-Saint-Gervais. « C’est un humain comme un autre, fauteur ou pas, il avait le droit à une prise en charge et au respect comme tout le monde », estime la sœur d’Akram, qui considère que « ce ne sont pas aux policiers de rendre justice eux-mêmes »

De son côté, la préfecture de police assure que « les fonctionnaires ont prodigué les premiers secours avant la prise en charge et la conduite en milieu hospitalier par les sapeurs‐pompiers ». Me Sin Chan, lui, tient à faire une mise au point, assurant que « la famille de la victime ne veut pas être péremptoire et accuser la police » :

« Leur enfant est plongé dans le coma à la suite d’un contrôle policier, et il aura probablement des séquelles graves, les parents veulent simplement que l’autorité judiciaire apporte des réponses à leurs questions. »