Antoine de Caunes à Paris, le 20 janvier 2017. | JOEL SAGET / AFP

Celui qui a incarné entre 1987 et 1995 Didier l’Embrouille, Ouin-Ouin ou Raoul Bitembois dans « Nulle part ailleurs » est aussi un fan de musique. A ses débuts, cet admirateur de Bruce Springsteen a été l’un des premiers, dans « Chorus » et ­ « Rapido », à imposer le rock à la télévision. Depuis plus de vingt ans, Antoine de Caunes, 63 ans, met son énergie au service de Solidarité Sida.

Dans quelle époque vivons-nous ?

Il m’est très difficile de la définir. D’un point de vue moral, elle s’est assombrie avec quelque chose de très dur dans le fond de l’air et le sentiment que tout s’accélère. Or, en gagnant en âge, on vit plus au ralenti, ce qui est mon cas ! Ça s’applique à toutes les époques, à toutes les générations, mais je constate que le monde va plus vite qu’avant. Mon avant, c’est mon enfance, mon adolescence et ma jeunesse dissolue des années 1960-1970.

Qu’est-ce qui a changé ?

Dans ces années-là, on avait une plus grande insouciance. Aujourd’hui, il y a une exigence de rendement immédiat, ­de rentabilité. Il faut aller vite et être efficace. On est soumis à cette loi d’airain. A mon époque, on pouvait voir venir, prendre un peu de temps. Or, moi j’ai besoin de temps pour ce que je fais. Paradoxalement, la production audiovisuelle nécessite de la ­rapidité. Mais j’ai besoin de faire le petit pas de côté, de réfléchir, de laisser un peu de place à l’imaginaire. Je veux avoir le droit de tâtonner, de me tromper. Mes bulles sont les livres. Ce temps de lecture est un moment très intime. Ça me console de la ­violence du reste.

Etes-vous nostalgique des années qui passent ?

Non, je suis imperméable à la nostalgie et à l’exploitation qui en est faite. On est tous passés par un âge d’or. Ce fut pour moi, entre autres, la musique des années 1970. J’ai grandi avec la pop anglaise, des gens qui ont inventé une grammaire et un langage que l’on utilise encore. Mais je ne pense pas qu’aujourd’hui ­la musique soit moins créative. Les 15-20 ans qui voient ­l’explosion de la communication et des réseaux pensent, avec ­raison, que l’on est dans une époque hypercréative.

Quelle est votre bande-son de l’époque ?

J’écoute beaucoup de musiques… que j’ai déjà entendues avant. Ma curiosité reste toutefois intacte. Je fouille à droite et à gauche pour essayer d’être épaté, et je le suis un petit peu moins. Ce n’est pas le cas pour la littérature, où je vais d’emballement en emballement. Tout comme le sport. Après le vélo, je viens de commencer à m’initier à la boxe. C’est léger, aérien. Un art de l’esquive, une discipline, un plaisir dans le contrôle.

C’est utile pour faire de la télévision ?

Oui, car tout sert à tout ! La pratique du vélo m’a appris ­l’endurance et la boxe l’agilité. J’apprends à donner des coups et à en recevoir. Cela permet de garder son calme et ses nerfs. Il y en a besoin ici en ce moment mais aussi de manière générale… Cela dit, à Canal, j’ai un terrain de jeu très préservé et une liberté de travail exceptionnelle. On me fout une paix royale.

Comment avez-vous réagi à la liquidation de i-Télé ­par les patrons deCanal + ?

Bien sûr, cela m’a beaucoup ému car j’ai toujours évolué dans le milieu journalistique. Je suis moi-même intermittent, un saltimbanque et donc très sensible à la précarité dans ­les métiers du journalisme et du spectacle. Mais je suis conscient que dans le métier que je fais, je suis très privilégié. J’ai une sainte horreur des gens de télé ou de radio qui viennent ­gémir de leur infortune ou de la dureté de leur sort. Comparé à ce qui se passe dans le monde réel, nous sommes très ­protégés. En ce qui me concerne, j’ai le choix des armes. Si ça ne me convient pas, je peux retourner faire de la fiction ou remonter sur scène.

Qu’est-ce qui vous a décidé à vous investir dans la lutte ­antisida et à devenir président d’honneur de Solidarité Sida ?

C’était il y a vingt-quatre ans, à la création de l’association. ­Ses fondateurs cherchaient une tête de gondole, un porte-parole. J’étais et je reste très sensible à la lutte contre le sida. J’ai toujours pris soin de garder une forme de neutralité dans mes engagements mais, là, c’était une cause qui dépassait toutes les autres. ­A travers le sida, on parle économie, politique, sexualité, relations humaines et rapports Nord/Sud. Les bénévoles de l’association ont gardé un enthousiasme intact et pensent que l’on peut bouger les montagnes.

Pourtant, on parle du sida comme du mal du siècle dernier…

Oui, car dans l’esprit de beaucoup de gens, le sida est presque une affaire classée. Cela fait partie des maladies lointaines comme la tuberculose ou le paludisme. Sauf qu’il y a toujours un grand nombre de malades et beaucoup de gens qui n’ont pas accès aux traitements. Il y a donc un message de prévention qu’il faut réactiver sans cesse.

Pourquoi ne vous voit-on plus au cinéma ?

La télévision m’occupe énormément. Mais j’ai des envies ­de longs-métrages. Je rêve d’adapter un bouquin de Stevenson qui s’appelle Le Maître de Ballantrae (1889). C’est très compliqué car l’action se passe en Ecosse au XVIIIe siècle avec des pirates… Je ne suis pas sûr que ce soit le goût de notre époque ! J’aimerais aussi travailler sur une comédie radicale à la manière des frères Coen. The Big Lebowski (1998) reste pour moi une référence ­absolue. Le décalage, un humour noir, corrosif, bizarre.

Suivez-vous la politique ?

Bien sûr, ça m’intéresse énormément ! La politique me raconte beaucoup de choses sur le monde dans lequel je vis et que j’ai vu évoluer, bouger. Même si je ne suis pas entièrement macronisé, je suis assez séduit d’avoir un mec jeune à la tête de l’Etat. J’aime bien qu’il y ait une nouvelle incarnation pour renouveler le cheptel, même si j’attends de voir…

Pouvez-vous imaginer ce que penseraient de vous vos parents, Georges de Caunes et Jacqueline Joubert, deux pionniers de la télévision ?

Je pense qu’ils s’y retrouveraient ! Avec eux, j’ai eu les bons tuteurs, des gens qui à la fois m’ont appris les règles du jeu tout en ­réussissant à garder une forme de liberté. Mon père s’est fait virer à cause de sa liberté de commentaire et ma mère a payé le prix fort pour être montée au front de la télévision en Mai 68. Elle a été ­interdite de travail pendant deux ans. Ils ont connu de grandes ­difficultés pour faire un métier qui les passionnait. C’est pourquoi j’ai le sentiment qu’ils ne me répudieraient pas.

« L’Emission d’Antoine », en best of, tout l’été, le samedi à 19 h 20.

Festival Solidays : 80 concerts à Paris-Longchamp jusqu’au 25 juin. Solidays.org