« J’aurais préféré passer l’Aïd avec ma mère, mais les prix sont inabordables en ce moment », déplore Farida, Algérienne installée à Marseille depuis 2001. Pour éviter de payer trop cher son voyage, cette mère de deux enfants a dû se résoudre à partir dans son pays d’origine pendant la saison hivernale.

Il y a quatre ans, Farida, mère au foyer, et son mari, maçon, avaient dû dépenser 2 500 euros pour la traversée Marseille-Alger. Une somme importante qui a convaincu le couple de changer la date de leur départ et leur moyen de transports. « Nous avons pris l’avion cet hiver. Cela nous a coûté 800 euros pour mon mari, mes deux enfants et moi. Sur place, on a loué une voiture pour 30 euros par jour. Cela reste plus abordable que le bateau », observe Farida. Selon le comparateur de prix en ligne Direct Ferries, le prix moyen d’une traversée Marseille-Alger pour une voiture et un passager s’élève en moyenne à 1 913 euros en juin contre 640 euros en décembre.

« Obligation familiale »

Avec l’augmentation du coût de la vie, Farida a de plus en plus de difficultés à économiser pour se rendre en Algérie. « Outre les billets de transport, nous devons apporter des cadeaux pour toute la famille et payer la nourriture », explique-t-elle, qui avoue dépenser 2 000 euros sur place rien qu’en frais de bouche. Elle qui partait tous les ans voir ses parents a considérablement restreint ses déplacements.

A Lille, Aissa fait le même constat. Cet enseignant de 50 ans explique ironiquement qu’il préfère partir en pension complète en Turquie pour le même prix. « Je me rends de moins en moins en Algérie. J’en ai assez de limiter les sorties et les loisirs de mes filles pour nous payer simplement des billets d’avion ou de bateau », s’insurge l’enseignant. En matière de transports, Aissa a tout expérimenté : les traversées Marseille-Alger, Barcelone-Alger et Gênes-Tunis (le plus avantageux mais aussi le plus long) et l’avion.

Pendant l’été, un aller-retour Lille-Alger coûte en moyenne 430 euros, du « racket » pour Aissa. « La diaspora algérienne ne se rend pas au pays pour faire du tourisme mais par obligation familiale », renchérit ce Français, originaire de Sétif. A 200 km de chez Aissa, Najat, 48 ans, habitant Argenteuil et originaire d’Oran, avoue également partir par devoir en Algérie. « Pour nous, ce n’est pas un luxe. Nous devons aller voir nos parents. C’est dans notre culture », explique cette veuve, mère de trois enfants. Avec son Smic, Najat économise « un peu tous les mois » pour s’y rendre trois semaines en période estivale.

« Ouvrir les espaces aériens et maritimes »

Face aux mécontentements de la diaspora, plusieurs associations installées en France ont interpellé les autorités algériennes sur la cherté des prix des transports. Otman Douidi, vice-président de l’association Diaspora des Algériens résidant à l’étranger (Dare) a notamment exhorté le chef de l’Etat Abdelaziz Bouteflika à respecter sa proposition 5 présentée lors de sa dernière campagne électorale. Celle-ci prévoyait de baisser le prix des billets d’avion Air Algérie, jugé excessif à l’approche des grandes vacances scolaires. « J’ai apporté mon soutien au président, car je pensais qu’il allait arranger la situation. Mais aujourd’hui, rien n’a été fait », estime Otman Douidi.

Comme lui, Salah Hadjab, responsable du Collectif contre la cherté des transports vers l’Algérie (CCTA), se bat pour que les tarifs soient revus à la baisse : « Il faut ouvrir les espaces aériens et maritimes à la concurrence et au low-cost international, et arrêter le duopole exercé par Aigle Azur et Air Algérie, et le quasi-monopole d’Algérie Ferries. »

En effet, cette compagnie maritime algérienne dessert cinq villes – Annaba, Oran, Alger, Skikdaet Béjaïa – alors que sa seule concurrente Corsica Linea ne dessert qu’Alger. Quant aux compagnies à bas coût, elles sont encore peu nombreuses dans l’espace aérien. Le comparateur de vols Skyscanner fait état de quatre compagnies pas chères assurant les liaisons France-Algérie, auxquelles il faut ajouter la petite dernière Atlas Atlantique Airlines. C’est deux fois moins que pour le Maroc.

« Une honte » pour Aissa qui déplore cette situation et s’inquiète pour les générations futures. « Ce n’est pas qu’une question d’argent. Si rien ne bouge, la diaspora ne reviendra plus en Algérie. Peu à peu, nos enfants perdront le lien avec le pays de leurs parents. Ils seront amputés d’une part de leur identité. »