Une semaine après le dramatique incendie de la tour Grenfell, une tour HLM dans l’ouest de Londres, qui a tué au moins 79 personnes, une enquête publique et une enquête criminelle vont devoir mettre en lumière toutes les causes du drame qui a endeuillé le quartier populaire de Kensington.

Le départ de feu n’était pas volontaire : il est parti d’un réfrigérateur de l’immeuble, a déclaré vendredi 23 juin la police de Londres, confirmant des informations publiées dans la presse. Mais l’état de la tour, les derniers travaux de ravalement de sa façade et les lois en vigueur concernant la construction d’immeubles à Londres et au Royaume-Uni, sont dénoncés, alors que le feu s’est propagé à une très grande vitesse, piégeant rapidement les habitants de l’immeuble.

Evacuations en urgence

Dans ce contexte, « tous les propriétaires et bailleurs ont reçu l’instruction de mener des tests de sécurité incendie supplémentaires dans les tours, et de s’assurer que la sécurité et les mesures d’urgence adéquates sont en place », a annoncé jeudi 22 juin la première ministre, Theresa May. Des inspections ont été lancées sur 600 immeubles. Elles ont conduit, dans la nuit de vendredi 23 à samedi 24 juin, à l’évacuation en urgence de cinq tours de Londres, les résultats de la série de tests sur la sécurité incendie de ces immeubles ayant été jugés insatisfaisants. Et parmi ces 600 tours inspectées, 60 immeubles ont été jugés non conformes en raison de leur revêtement par le département des collectivités locales.

Certains immeubles disposent en effet du même revêtement extérieur qui avait été installé à la tour Grenfell entre 2014 et 2016 par une entreprise appelée Rydon, particulièrement scrutée par les médias et les enquêteurs britanniques. Cette dernière a assuré dès le 15 juin dans un communiqué que son installation sur la tour Grenfell respectait les normes de construction et de sécurité incendie en vigueur.

Mais les premiers tests réalisés par les autorités ont montré que les matériaux isolants, et les carreaux utilisés pour le revêtement, étaient très inflammables, selon les déclarations de la police de Londres vendredi 23 juin. Cela alors que ces types de revêtement faits en matériaux inflammables présentent de grands risques de propagation rapide d’incendie par l’extérieur d’un bâtiment.

Le principal texte détaillant les règles de construction au Royaume-Uni, le Building Regulations, retravaillé pour la dernière fois en 2010, explique dans ses recommandations relatives aux risques d’incendie que « l’enveloppe externe d’un immeuble ne doit pas servir d’intermédiaire de propagation à un incendie ». « L’utilisation de matériaux combustibles dans le revêtement extérieur (…) peut présenter un tel risque dans le cas des grands immeubles », ajoute le texte.

« 250 personnes » impliquées, selon Scotland Yard

Les dernières déclarations de la police de Londres ont de quoi alimenter le doute sur le sérieux des travaux effectués par l’entreprise Rydon, qui avaient déjà provoqué de nombreuses tensions avec les habitants de la tour Grenfell, dont plusieurs s’inquiétaient de la sécurité des installations et des travaux sur le blog Grenfell Action Group dès 2015, comme le rappelle le Financial Times.

Dans ses déclarations le 23 juin, la police londonienne a précisé que Rydon n’était pas seule en cause, et qu’elle enquêtait sur « toutes les entreprises » impliquées dans la construction et la maintenance de la tour avant l’incendie. Cette enquête colossale implique « 250 personnes » selon Scotland Yard, tant la gestion de l’entretien et des travaux de la tour comportait de nombreuses ramifications.

En ce qui concerne la rénovation de la façade extérieure, Rydon était la principale entreprise gérant la rénovation de l’immeuble. Mais de nombreuses sociétés ont participé à la fourniture de matériel : Harley Facades Ltd a ainsi décroché un contrat pour l’installation du revêtement isolant, d’un montant de 2,6 millions de livres.

Les représentants d’Harley Facades Ltd ont expliqué avoir acheté des matériaux à une autre entreprise nommée Arconic, qui fournit des panneaux avec différents niveaux de résistance au feu. Selon l’agence de presse Reuters, cette société a admis avoir fourni du Reynobond PE, un composite aluminium inflammable, pour la rénovation de la façade tour Grenfell, alors que les documents déconseillent l’utilisation de ce matériau pour les bâtiments de plus de 10 mètres de haut.

Irrégularités non relevées pendant les inspections

Au cours d’une interview à la BBC réalisée après l’incendie, le chancelier Philip Hammond a rappelé que les revêtements inflammables en composites d’aluminium étaient interdits au Royaume-Uni dans les constructions de plus de 18 mètres. Une hauteur largement dépassée par la tour Grenfell, qui comptait 24 étages.

La tour Grenfell calcinée, le 23 juin. | FRANK AUGSTEIN / AP

Des irrégularités d’autant plus problématiques qu’elles n’ont pas été relevées lors des seize inspections menées par les autorités locales entre 2014 et 2016, a révélé le Guardian. De nombreux immeubles doivent en principe subir des contrôles de sécurité incendie réguliers, mais « clairement, le bon fonctionnement du système réglementaire et des inspections de sécurité est un problème » au Royaume-Uni, explique au Monde John Kesley, associé de l’école d’architecture The Bartlett, associée à l’université de Londres :

« Il y a une tendance vers moins de réglementations, et une tendance vers des réglementations basées sur la performance que sur les prescriptions : c’est-à-dire qu’on demande à tel élément d’un immeuble de fonctionner d’une certaine manière, au lieu de dire que cet élément devrait être composé de tel et tel matériau et pas d’un autre. »

Dysfonctionnements des installations

Parmi les autres manquements aux règles de sécurité incendie, il a aussi été noté que la tour Grenfell ne disposait pas de sprinklers (« extincteurs automatiques ») qui auraient pu – éventuellement – ralentir la propagation des flammes. Ils ne sont en effet obligatoires dans les immeubles de plus de 30 mètres que depuis 2007, alors que la tour Grenfell avait été construite dans les années 1970.

Les propriétaires sont par ailleurs obligés d’installer des alarmes incendies dans tous leurs logements, ainsi qu’un détecteur de monoxyde de carbone dans certains types de pièces, et doivent s’assurer de leur bon fonctionnement à chaque renouvellement de bail, selon les Smoke and Carbon Monoxide Alarm Regulations de 2015. Si un message du bailleur en mai 2016 mentionne la rénovation des détecteurs de fumée dans la tour, plusieurs témoignages retransmis par David Collins, ancien président de l’Association des résidents de la tour Grenfell, ont fait état de dysfonctionnements dans ces installations.