Theresa May lors du Conseil européen, à Bruxelles, le 23 juin. | FRANCOIS LENOIR / REUTERS

La drôle de guerre est finie. Lundi 26 juin, le Royaume-Uni est pour la première fois entré dans le vif du sujet, avec des propositions concrètes sur la façon de mener à bien le Brexit. Celles-ci concernaient les trois millions d’Européens qui résident outre-Manche. Theresa May est venue à la Chambre des communes pour faire valoir sa bonne volonté. « Nous voulons que vous restiez », a lancé la première ministre britannique aux Européens vivant au Royaume-Uni. Elle promet « qu’aucune famille ne sera divisée » et que le processus administratif sera « aussi réduit et léger que possible ».

Mme May veut créer pour les Européens un nouveau statut de résident permanent, intitulé « settled status », qui offrira en principe les mêmes droits que ceux dont ceux-ci disposent actuellement : vivre et travailler au Royaume-Uni, accès aux soins, à la retraite, à l’université… Les Européens vivant depuis plus de cinq ans outre-Manche bénéficieront de ce régime.

Les personnes arrivées plus récemment auront aussi la possibilité de rester pendant cinq ans et pourront alors demander ce statut. Seuls ceux arrivés après une date butoir n’y auront pas droit, cette dernière restant à définir (elle sera située entre le 29 mars 2017, quand le Royaume-Uni a activé officiellement la procédure de sortie de l’Union européenne (UE), et la date effective du Brexit).

« Monnaie d’échange »

La proposition de Londres repose cependant sur deux conditions. La première est que la réciprocité soit assurée pour les Britanniques qui vivent dans l’UE. La seconde est qu’un accord complet soit trouvé sur le Brexit. Le sort des ressortissants européens n’est qu’un des dossiers de la procédure de « divorce » entre Londres et Bruxelles. Tant que l’ensemble ne sera pas conclu, les promesses sur les ressortissants européens resteront lettre morte.

« Ce n’est pas une offre généreuse, mais la preuve que [Theresa May] utilise les gens comme une monnaie d’échange », accuse Jeremy Corbyn, le leader de l’opposition travailliste. Lui prône une garantie unilatérale du Royaume-Uni vis-à-vis des trois millions d’Européens.

Si la proposition est jugée sérieuse à Bruxelles, son hypersensibilité rend les discussions difficiles. La question est considérée comme prioritaire en Europe, notamment pour la Pologne, qui compte 831 000 ressortissants au Royaume-Uni, mais aussi pour la France, l’Allemagne ou le Portugal. Déjà, les départs de ressortissants européens sont scrutés de très près.

En 2016, 117 000 ressortissants de l’UE ont quitté le Royaume-Uni, une hausse de 31 000 par rapport à 2015. Le phénomène est particulièrement prononcé chez les Européens de l’Est. Les arrivées au Royaume-Uni sont aussi en baisse. Le nombre d’infirmières de l’UE venues travailler outre-Manche s’est écroulé de 96 %, passant de 1 300 le mois avant le référendum du 23 juin 2016 sur le Brexit à 46 en avril.

« Nous avons besoin de plus de clarté, d’ambition et de garanties que dans la proposition britannique d’aujourd’hui », estime Michel Barnier, négociateur pour l’UE

Dans ces conditions, la réponse, lundi, de Michel Barnier, le négociateur de la Commission, a été sévère. « Le but des Européens concernant les citoyens : [conserver] le même niveau de protection que dans la loi européenne. Nous avons besoin de plus de clarté, d’ambition et de garanties que dans la proposition britannique d’aujourd’hui. » Le principal point d’achoppement concerne la juridiction qui sera compétente en cas de litige. Bruxelles souhaite qu’il s’agisse de la Cour de justice de l’UE (CJUE).

Londres l’exclut dès la page 2 du document présenté lundi : « La CJUE n’aura pas juridiction sur le Royaume-Uni », comme l’exigent les partisans du Brexit. Comme compromis, Mme May laisse la porte ouverte à la création d’un tribunal d’arbitrage ad hoc. Celui-ci pourrait, par exemple, comprendre des juges britanniques et de l’UE, qui siégeraient ensemble.

Un autre point de friction concerne le droit de conserver le nouveau statut de résident permanent à vie ou non. Les Britanniques ont annoncé qu’un départ du Royaume-Uni pendant plus de deux ans vaudrait la perte de ce statut. Enfin, un grand questionnement concerne la lourdeur administrative que représentent trois millions de régularisations.

Extrême complexité

« Une tâche colossale », s’inquiète Nicolas Hatton, un Français vivant à Bristol qui a cofondé le groupe The Three Million pour défendre les droits des Européens outre-Manche. Quels documents faudra-t-il soumettre ? De quelle façon ? Les questions sont pour l’instant sans réponse. Le maintien du droit de vote aux élections locales – ou non – est également passé sous silence dans la proposition des Britanniques.

Tous ces problèmes viennent souligner l’extrême complexité du Brexit. Le dossier est a priori simple : Européens et Britanniques affichent leur volonté de trouver une solution rapide. Malgré cela, la réponse de M. Barnier, sans équivoque ni concession, augure de négociations difficiles à partir du 17 juillet, date de sa prochaine rencontre officielle avec David Davis, le ministre britannique du Brexit.

Les négociateurs ne sont pas totalement négatifs : ils sont satisfaits que la partie britannique soit arrivée en un temps relativement court (les discussions n’ont commencé que le 19 juin) avec une proposition jugée sérieuse. Mais ils se font peu d’illusions : ils ne croient pas Londres capable de céder sur la question de la prééminence de la CJUE.

Se débarrasser de la Cour de Luxembourg est un leitmotiv de la première ministre Theresa May depuis qu’elle a été ministre de l’intérieur (2010). Les citoyens vont-ils se retrouver otages d’une discussion plus laborieuse que prévu ? Officiellement, Européens et Britanniques assurent vouloir l’éviter, et souhaitent parvenir à un accord sur les principes du divorce dès cet automne.