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Autonomisation accrue des universités, libre accès aux données de recherche, développement des coopérations public-privé ou encore formation tout au long de la vie dans les établissements d’enseignement supérieur… Voici quelques-unes des dix propositions les plus saillantes du dernier rapport de l’Institut Montaigne dévoilé mercredi 28 juin et intitulé « Numérique et enseignement supérieur : connectez-vous ! ».

Les deux auteurs, Gilles Babinet, entrepreneur et « digital Champion » [promoteur de l’économie numérique] de la France auprès de la Commission européenne et Edouard Husson, historien et vice-président de Paris Sciences et Lettres [communauté d’établissements qui compte notamment parmi ses membres l’université Paris-Dauphine et l’Ecole normale supérieure] y font le constat que le système d’enseignement supérieur n’est pas encore au point pour affronter la « troisième révolution industrielle » théorisée par l’essayiste américain Jeremy Rifkin.

« Dans un monde où le capital humain est désormais la matière première, ce sujet devient central. Les grands creusets de développement numérique que sont la Californie, Israël, Shanghaï sont sans exception adossés à des systèmes d’enseignement supérieur d’excellence. (…) Il est nécessaire de disposer de systèmes de formation exigeants et souples transposables dans une perspective de formation tout au long de la vie », écrivent les auteurs dans le préambule de leur rapport.

Ils rappellent également les chiffres souvent cités de la « nouvelle économie » ou de l’« industrie 4.0 » qui devrait, d’ici à 2020, créer 2 millions d’emplois et en détruire 7,1 millions (selon les chiffres du Forum économique mondial).

Pousser l’autonomie plus loin

D’après les auteurs, la première porte de la transformation numérique sera celle de l’autonomie des universités. Une entrée éminemment sensible dans le monde universitaire. « Les universités ont gagné leur autonomie depuis 2009, mais comme le note l’EUA (Association européenne des universités), la France arrive en queue de classement. Il y a encore des rigidités organisationnelles : le numérique est un bon vecteur pour inciter les acteurs à mieux maîtriser les données et à les partager sur le modèle de la Grande-Bretagne », explique Edouard Husson. L’organisation de l’université britannique de Warwick est citée en exemple : elle est « dotée à la fois d’une présidence forte, de facultés fortes liées entre elles par un mode de contractualisation dont la légitimité est fondée sur la qualité des systèmes d’informations et la précision de données partagées ».

Le rapport propose d’aller plus loin que la loi LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) vivement critiquée en 2007 par les organisations étudiantes et les syndicats d’enseignants-chercheurs. Les universités devront ainsi à terme pouvoir « piloter leur budget, développer leurs ressources propres et gérer leurs ressources humaines », préconisent les auteurs. Une proposition qui n’est pas sans rappeler celle du candidat Macron en mars 2017 qui voulait « donner aux universités et aux grandes écoles la liberté de recruter eux-mêmes leurs enseignants-chercheurs suivant les standards internationaux de qualité et d’indépendance ».

Le « Learning Analytics » contre l’échec en licence

Autre proposition saillante : la lutte contre l’échec en licence avec des outils de « profilage » L’année dernière, seuls « 40,1 % des étudiants inscrits en licence sont passés en deuxième année et 27,5 % ont obtenu leur diplôme en trois ans, avec de fortes disparités selon les universités », rappelait le ministère de l’enseignement supérieur, en novembre 2016. Pour remédier à ce décrochage, le rapport propose de développer les « Learning analytics » (analyses de l’apprentissage) en citant l’exemple de l’école privée suisse Nemesis, spécialisée dans la réinsertion pédagogique de lycéens ou d’étudiants décrocheurs. Les analyses de l’apprentissage lient des données aux sciences cognitives, qui peuvent être mobilisées « au service d’une pédagogie sur mesure ».

« En fonction de ce que livre l’analyse des données (par exemple, le moment où l’étudiant perd l’attention ou au contraire les parties des contenus où il accroche ; type d’erreurs spécifiques ; façons qu’il a de mémoriser ; sensibilité à l’abstraction ou au contraire aux cas concrets etc.), il est possible d’identifier un profil d’apprenant. Au-delà du cours, le travail personnel peut être organisé de manière à rendre l’apprentissage plus fluide, à faciliter le chemin vers la construction d’un savoir propre ; à utiliser le savoir être au service de l’apprentissage », développe le rapport. « Il est urgent de pousser ces initiatives pour identifier les biais d’apprentissage des élèves et les biais pédagogiques des enseignants », estime Edouard Husson. De telles expérimentations se sont déjà développées dans les universités privées, comme à l’IE (Instituto de Empresa) à Madrid.

Enfin, le rapport insiste sur la fin des « logiques adéquationnistes » entre offre de formations et carte des nouveaux métiers. « Dans l’économie de la créativité qui émerge, ce sont les têtes bien faites de diplômés qui ont appris à apprendre et qui seront prêts à compléter leur formation tout au long de leur cursus professionnel » dont la France a besoin, écrivent Gilles Babinet et Edouard Husson.

Autant de propositions qui arrivent dans un contexte politique favorable, d’autant que leur financement n’est pas précisé. « De nombreuses choses peuvent se faire à coût constant avec le numérique. Une meilleure allocation des ressources se fera avec la maîtrise des données. Il y a des investissements à faire de l’Etat pour que la France soit dans la compétition, mais à terme nous insistons sur le fait qu’il doit y avoir un équilibre entre financement public et privé », juge Edouard Husson.

Les 10 propositions de l’Institut Montaigne

  1. Grâce à des données fiabilisées et des outils d’aide au pilotage, rénover les prochaines vagues de contractualisation des universités pour aboutir à une simplification administrative de la tutelle des établissements d’enseignement supérieur et de recherche et à un parachèvement de leur autonomie.
  2. Permettre un accès libres aux données issues de la recherche et aux espaces d’innovation ouverte, notamment par la poursuite de la modernisation et de la numérisation des bibliothèques.
  3. Consacrer un nouveau financement de type PIA (programme d’investissements d’avenir) au développement systématique d’une « souveraineté numérique » française enracinée dans un effort de recherche de grande ampleur.
  4. Grâce à une concertation nationale sur les modalités et usages du numérique dans l’enseignement supérieur, renouveler le modèle économique des universités et des écoles, en suivant trois priorités : renforcer l’offre et l’organisation des formations, accroître l’investissement national pour la rénovation pédagogique et amorcer une grande transformation de la vie étudiante
  5. Développer l’activité de laboratoires de recherche et de lieux d’expérimentation en sciences de l’éducation et numérique, pour l’enseignement supérieur et la recherche
  6. Former aux enjeux juridiques, éthiques et de sécurité (établissement des normes, protection des données, développement de la recherche sur le blockchain, mise en place de modules de sensibilisation à l’éthique des données, etc.) par le développement de la recherche collaborative et de l’incubation des entreprises issues des processus de recherche publique.
  7. Améliorer l’orientation et préparer aux métiers de l’ère numérique grâce à une prise de conscience du besoin de développement des compétences nouvelles, une meilleure orientation des effectifs vers les formations les plus performantes sur le plan économique et social, un meilleur accompagnement de l’insertion professionnelle, une meilleure gestion des offres et des productions des universités pour faire face à la hausse des effectifs, un soutien accru à la collaboration privé-public quant aux enjeux d’orientation.
  8. Faire du numérique un levier de développement de l’entrepreneuriat étudiant, grâce notamment à la mise en place de prix de l’innovation numérique à l’échelle académique, ou au développement des MOOC et autres outils pour mieux gérer les orientations des étudiants.
  9. Renforcer le partenariat des universités et des écoles avec le secteur privé à travers la mise en place d’Académies du management et du digital à un échelon régional, le développement de tiers lieux sur les campus tels que des incubateurs ou des laboratoires d’expérimentation numérique.
  10. Créer des synergies plus fortes entre les espaces d’enseignement supérieur et de recherche européens à travers notamment une reconnaissance réciproque des attributions de crédits ECTS autour de formations virtuelles impliquant des étudiants de différentes universités européennes, la mise en place d’un supplément au diplôme numérisé, la mise en place d’un passeport digital européen.