Le grand hall de la gare de Bordeaux Saint-Jean après sa rénovation, en janvier 2017. | SEBASTIEN ORTOLA/REA

Voiture 18. En fin d’après-midi, dans le train au départ de Paris-Montparnasse qui passe par Bordeaux, on se prépare pour un long trajet. Quatre jeunes filles en classe de 3e au collège du Pays d’Orthe (Landes) enlèvent leurs chaussures à talon. L’une s’emmitoufle dans une couverture Mickey. Elles reviennent du Grand Rex, où elles ont remporté, ce mardi 23 mai, le Clap de bronze pour leur film de deux minutes sur la danse dans le cadre du concours « Je filme le métier qui me plaît ». « Mais on n’a pas vu Costa-Gavras », regrettent-elles. Le président du jury était attendu pour le Clap de diamant, le prix final. La soirée avait à peine commencé que les collégiennes filaient déjà pour ne pas louper le dernier train pour Dax. Départ : 17 h 28.

Un jeune homme se réveille de sa sieste et ouvre un magazine. Olivier Crombez, 34 ans, est chef de projet de l’Union des grands crus de Bordeaux. Depuis cinq ans, il fait le trajet Paris-Bordeaux au moins une fois par mois. « Quand je vois un type qui n’a rien à lire, j’espère qu’il est au moins en descente d’ecsta, soupire-t-il. Trois heures trente, c’est long… Il y a une heure de trop ! » Crombez pose son magazine et décompose ses trajets. « Je dors, je regarde les paysages, puis je bouquine, j’écoute de la zik et, si je suis un peu joyeux, je vais acheter une bière au wagon bar, avec des cacahuètes, en pensant que je suis le roi du pétrole parce que ça m’a coûté 10 balles… Bon, il s’est au mieux passé deux heures. Le temps qui reste, on se dit : “On accouche, quoi !” Deux heures, voire deux heures et demie, ça me paraît réglo. »

« La folie du chemin de fer » remonte à 1838

L’Océane, nouvelle ligne Paris-Bordeaux, conduira Crombez et ses cacahuètes à destination en deux heures et quatre minutes dès le 2 juillet. Dans une salle des Archives Bordeaux Métropole, située dans un ancien bâtiment des magasins généraux qui abritait la marchandise ferroviaire, on prépare, pour fêter l’arriver du super TGV, une exposition au titre stendhalien, « Bordeaux et la folie du chemin de fer ». En 1838, un an après l’inauguration de la première ligne de voyageurs Paris-Saint-Germain-en-Laye, l’écrivain, qui passe alors quelques jours dans la ville, note que « la folie du chemin de fer éclate à Bordeaux comme ailleurs ».

Le directeur, Frédéric Laux, et le commissaire d’exposition, Jean-Cyril Lopez, sont penchés sur une carte de Bordeaux datée de 1897 sur laquelle ils pointent les gares : Bordeaux-Ségur, la toute première, Bordeaux-La Teste, où l’on acheminait le pain et le bois, Bastide-Orléans (aujourd’hui un cinéma), rive droite, puis la gare du Midi (actuelle gare Saint-Jean), fondée en 1855 par la Compagnie du Midi des frères Pereire, rive gauche. « C’est de là que partaient les “trains de plaisir” pour le bassin d’Arcachon, explique Jean-Cyril Lopez. Si l’on venait de Paris, on arrivait gare de Bastide-Orléans, puis il fallait rejoindre la gare du Midi en bateau ou en passant sur un pont de pierre… »

Ce n’est qu’en 1860 que la passerelle Eiffel permettra de relier les deux réseaux de voies ferrées. Elle fut conçue en réalité par Stanislas de la Laroche-Tolay, qui avait embauché quatre ans plus tôt le jeune Gustave (Eiffel) pour étudier les fondations en rivière avec emploi de presses hydrauliques. Au XIXe siècle, les trains à « grande vitesse » étaient destinés aux voyageurs, mais aussi aux coquillages et aux huîtres. Le bétail se contentant d’une « petite vitesse ». Mais que signifiait alors « grande vitesse » ? Treize heures dix-sept pour le premier Paris-Bordeaux, en 1853. « Au lieu de quarante-cinq heures en diligence malle-poste… Le transport hippomobile atteignait enfin ses limites ! », sourit M. Lopez.

Il montre un dessin aquarellé tout en longueur des peintres Artus et Lauriol, représentant une large avenue partant du Grand-Théâtre. « Ils avaient imaginé filer cette immense voie jusqu’à la gare… Ce qui aurait pulvérisé tout le centre, commente le directeur, encore perplexe. De son côté, l’architecte utopiste Cyprien Alfred-Duprat avait soumis l’idée d’une gare centrale aux voies ferrées souterraines. »

Portrait kaléidoscopique de la ville

Mademoiselle, un bouledogue anglais, se traîne lourdement dans l’annexe vide de la mairie. Jeudi de l’Ascension, premier jour de grande chaleur. Sa maîtresse, Claire Andries-Roussennac, directrice des affaires culturelles de Bordeaux, s’installe à une table et se déchausse. Vêtue d’une robe à motif de cartographie, elle présente le programme Paysages Bordeaux 2017.

« Pas de commissaire pour cette saison culturelle, explique-t-elle sur les ronflements de Mademoiselle, qui a très chaud. On a préféré faire un portrait kaléidoscopique composé des acteurs culturels de notre territoire. Par exemple, Nathalie Mémoire, la directrice du Muséum d’histoire naturelle [fermé pour travaux], qui a découvert que le trajet de certaines espèces d’oiseaux longeait la ligne SNCF, a eu une idée géniale. Apporter des valises-musées dans les trains… »

Installation lumineuse

Des artistes d’envergure internationale seront aussi présents. Notamment Pablo Valbuena, avec Kinematope (gare Saint-Jean), une installation lumineuse dans le même esprit que sa proposition gare d’Austerlitz à Paris dans le cadre de la Nuit blanche 2015. « Cette fois, ça va durer trois mois, prévoit-il. Au début j’avais pensé à la grande nef, mais la SNCF et les syndicats de cheminots ont refusé. Ils craignaient que ça n’emmêle les conducteurs. Je me suis rabattu sur le grand hall. » Des lignes génératives de lumière descendront du plafond et créeront des formes.

Pascal Vouliot, chef de projet des travaux d’aménagement des voies, dirige une vingtaine d’ouvriers en uniforme orange en train de changer les aiguillages. « On a profité du week-end de l’Ascension pour mener une opération coup de poing de soixante-douze heures, explique-t-il. On fiabilise les entrées et les sorties de la gare Saint-Jean. » De nouveaux ballasts sont jetés au sol, là où les rails feront des nœuds. Les ouvriers travaillent sur les voies à une cinquantaine de mètres de la gare. Vue sur la toiture rénovée, baignée de lumière. Peut-être la plus belle perspective ferroviaire du coin. A gauche, l’ancien bâti, à droite, le nouvel accès Belcier. En forme de bateau.

Ce supplément a été réalisé en partenariat avec Bordeaux-Métropole