« L’Enfer des oiseaux » (« Hölle der Vögel », 1937-1938), de Max Beckmann (1884-1950), huile sur toile. | © DACS 2017/CHRISTIE'S

Hölle der Vögel (L’Enfer des oiseaux) est l’une des œuvres majeures de Max Beckmann et un repère historique dans l’art du XXe siècle. Exécutée en 1937-1938, c’est une allégorie féroce du IIIe Reich. Au premier plan, un homme à tête d’oiseau lacère avec un poignard le dos d’une personne ligotée, à plat ventre sur une table. Au centre, une déesse-mère monstrueuse, à la peau bleue, sort d’un œuf. Derrière elle, un rapace démesuré paraît surveiller des files de prisonnières et des suppliants, nus, les bras levés, la bouche ouverte sur un cri. Par terre est tombé un journal : le mot Zeitung se lit nettement. Ce qu’il annonce ? Peut-être le discours d’Hitler contre l’art « dégénéré », celui qui décide Beckmann à fuir l’Allemagne à l’été 1937 et à se réfugier aux Pays-Bas. A peine à Amsterdam, il fait un premier dessin de ce qui est devenu ensuite L’Enfer des oiseaux. Un an plus tard, la toile, de grand format (119,7 x 160,4 cm), est achevée.

Si Guernica est la dénonciation du fascisme en noir et blanc, le Beckmann est celle du nazisme dans un combat de noirs, de bleus, de roses et d’oranges qui blesse la vue. Moins connu que le célébrissime Picasso, il n’est pas moins important pour autant. Aussi a-t-il figuré dans de nombreuses expositions : la dernière à Paris, c’était au Louvre dans De l’Allemagne en 2013.

Une bataille d’enchères

Propriété depuis 1983 du galeriste new-yorkais Richard Feigen, il était le centre de la vente impressionniste et moderne chez Christie’s, le 27 juin au soir à Londres. Comme attendu, il a provoqué une bataille d’enchères. En est sorti vainqueur le galeriste Larry Gagosian, au prix record pour Beckmann de 36 millions de livres (40 865 674 €), l’estimation étant de 30 millions. Le galeriste aurait agi pour le compte du collectionneur américain Leon Black, magnat de la finance et de la presse, qui a déjà été soupçonné en 2012 d’être l’acheteur de l’une des versions du Cri, de Munch, pour 119,9 millions de dollars. Reste à espérer que L’Enfer des oiseaux aboutisse, pour finir, dans un musée, Metropolitan ou MoMA, car c’est évidemment là qu’il devrait être, à la vue de tous, manifeste pour la liberté et les droits de l’homme.

La vente des 30 lots proposés a atteint la somme totale de 149,5 millions de livres

Au regard de son importance, son prix, si élevé soit-il, pourrait cependant presque paraître modéré comparé à celui d’une autre des enchères majeures de cette soirée. Pour Femme écrivant (Marie-Thérèse), de Picasso, toile de 1934, qui n’est pas le portrait le plus intense de celle qui était alors la compagne de l’artiste, un acheteur chinois a payé 34,9 millions de livres, à peine moins que le Beckmann. Mais le nom de l’artiste allemand est moins universellement connu que celui de Picasso et nombreux sont les enchérisseurs millionnaires qui se décident plutôt d’après ce qu’ils entendent que d’après ce qu’ils voient.

La vente des 30 lots proposés, qui comptait aussi une petite étude de Van Gogh d’après Millet (24,2 millions), un beau Saule, de Monet, de 1918-1919 (« bon marché », à 8,9 millions) et des raretés d’Hannah Höch et de Georges Vantongerloo, a atteint la somme totale de 149,5 millions de livres. Christie’s Londres n’avait plus jamais fait aussi bien depuis 2010.

Sur le Web : artist.christies.com/Max-Beckmann--11429.aspx et www.christies.com/salelanding/index.aspx?intsaleid=26830&saletitle=