Intitulé Appel d’urgence lors de sa sortie française, en 1990, Miracle Mile émerge d’une longue nuit d’oubli, où l’avait relégué son insuccès – le vent a depuis soufflé en sa faveur. Son réalisateur, Steve De Jarnatt, peu connu au bataillon de la cinéphilie, ne compte comme fait d’armes que Cherry 2000 (1986), aimable pochade de science-fiction, et la merveille qui nous occupe, son second et dernier long-métrage.

Auteur du scénario, De Jarnatt s’est battu près de dix ans avec la Warner pour en conserver la paternité. En 1987, il le tourne pour une bouchée de pain (3,7 millions de dollars), en trente-cinq jours, sous l’égide d’une maison de production indépendante (Hemdale). Le film sera balayé après une semaine d’exploitation, et son auteur placardisé dans d’obscurs travaux de télévision. Miracle Mile connaîtra une seconde carrière en vidéoclub, source de son culte restreint et du petit nombre de ses adeptes.

Tout débute pourtant sur un air de comédie romantique

Le film emprunte son argument à l’un des thèmes classiques de la science-fiction des années 1950-1960, à savoir la menace nucléaire – et ressemble, en ce sens, de par son concept assumé jusqu’au bout, à un épisode de La Quatrième Dimension. Tout débute pourtant sur un air de comédie romantique : Harry (Anthony Edwards), musicien de jazz de passage à Los Angeles, rencontre Julie (Mare Winningham) dans les couloirs du Museum d’histoire naturelle, et tombe amoureux d’elle. Victime d’une panne de réveil, il rate le rendez-vous qu’ils s’étaient fixé au café du coin, où il débarque trop tard. Julie n’est plus là et une cabine téléphonique sonne dans le vide. Harry répond et reçoit un message alarmant, qui annonce une destruction imminente. Pris de panique, il alerte la clientèle de l’établissement, pour tenter avec eux de rejoindre au plus vite l’aéroport… mais pas sans Julie.

Inventivité de chaque instant

Steve De Jarnatt négocie cette rupture improbable et orchestre une course contre la montre haletante, avec une inventivité de chaque instant. En jetant son héros dans une nuit de galère, le film revêt l’apparence d’un cauchemar éveillé, voire d’une hallucination paranoïaque : Harry semble tourner en rond dans Miracle Mile, quartier de Los Angeles, et toujours revenir à son point de départ. De Jarnatt tire le meilleur parti du décor vide de la ville californienne : le sentiment d’apocalypse naît du dépeuplement de ses rues, des ombres qui les hantent, des lumières spectrales qui l’éclairent dans l’abandon nocturne et amplifient la solitude angoissée du héros. La caméra emboîte le pas de celui-ci, dans de longs travellings filés et suspendus à l’urgence d’un temps quasi réel, au son des nappes électroniques du groupe Tangerine Dream.

L’angoisse et l’urgence ne se suffisent pas à elles-mêmes, mais se gonflent de la quête sentimentale d’Harry, éclairant le propos du film : l’apocalypse, ça n’est peut-être rien d’autre qu’un rendez-vous amoureux raté, ou, pour le dire autrement, la transposition à l’échelle macroscopique d’une catastrophe intime. Loin de s’en tenir à cette seule pente subjective, le film prend son postulat cataclysmique au sérieux et le pousse jusqu’à son dernier degré de réalité : à l’aube, la panique s’empare de la ville et sème déjà une forme de débâcle humaine qui préfigure le désastre à venir. La beauté sombre et désespérée des derniers instants est indicible, mais suffit à porter Miracle Mile au plus haut degré d’ébullition romantique.

MIRACLE MILE de Steve de Jarnatt • Ressortie cinéma le 28 JUIN

Film américain de Steve De Jarnatt (1988). Avec Anthony Edwards, Mare Winningham, John Agar (1 h 27). Sur le Web : www.splendor-films.com/items/item/506