Coup dur pour les amateurs de téléchargement illégal. Ces derniers mois, d’importants sites permettant de se procurer des films, des séries, des musiques ou des jeux vidéo ont fermé les uns après les autres. Dernier en date : le francophone T411, un des principaux sites de ce type utilisé en France. Inactif depuis dimanche 25 juin, il a été fermé par les autorités françaises, en collaboration avec la police suédoise, après des plaintes de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) et de plusieurs membres de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA).

Ces deux mêmes organisations avaient également réussi à faire fermer en novembre 2016 Zone Téléchargement, un site francophone très populaire. Quelques jours plus tôt, What.cd, un site de partage musical, était lui aussi tombé après une plainte de la Sacem et la saisie de ses serveurs en France.

Le propriétaire de Kickass Torrents a été arrêté en juillet 2016. | Kickass Torrents

Les profils de ces services sont assez différents. What.cd ne fonctionnait que sur invitation et rassemblait des passionnés de musique aux goûts souvent très pointus – la plate-forme était considérée comme l’une des plus grandes bibliothèques musicales au monde. Zone Téléchargement, à l’inverse, était très grand public et permettait de télécharger films, séries, musiques ou encore jeux vidéo. Il répertoriait des liens permettant de télécharger directement des contenus. T411, quant à lui, était un site dédié à la technologie décentralisée « peer-to-peer » (P2P) BitTorrent : les fichiers sont hébergés chez les internautes eux-mêmes, qui doivent partager leurs propres contenus s’ils veulent pouvoir télécharger ceux des autres. T411 fournissait une liste de liens permettant d’effectuer cet échange, œuvre par œuvre.

Décourager les sites existants

Malgré leurs différences, ces sites ont tous un point commun : ils permettaient de télécharger illégalement des contenus protégés par le droit d’auteur, ce que leur reprochaient la Sacem et l’Alpa, évoquant des manques à gagner pour les ayant-droits de dizaines de millions d’euros. Comment expliquer qu’autant de sites soient tombés en si peu de temps ? « C’est un travail de longue haleine, qui commence à porter ses fruits », explique David El-Sayegh, le secrétaire général de la Sacem, au Monde. « Tout le monde améliore ses compétences : nous, les forces de l’ordre… On appréhende mieux ces nouvelles formes de délinquance. »

Mais il n’y a pas que dans la sphère française que les sites de téléchargement ferment à un rythme soutenu. Ces derniers mois ont aussi vu disparaître des acteurs majeurs anglophones comme Kickass Torrents, fermé en juillet 2016 après l’annonce, par les autorités américaines, de l’arrestation en Pologne de son propriétaire. Deux mois plus tard, c’est TorrentHound qui disparaissait, suivi, plus récemment, d’ExtraTorrent en mai. Toutefois, dans ces deux derniers cas, les sites semblent avoir fermé d’eux-mêmes, annonçant leur décision, sans avancer d’explication à leurs utilisateurs. Ont-ils pris peur ? C’est en tout cas ce qu’espèrent les autorités et les ayant-droits en multipliant les actions : décourager les sites existants et ceux qui souhaiteraient prendre la place des disparus.

L’offre légale, solution contestée

Sur les réseaux sociaux, après la surprise et la déception de ne plus pouvoir accéder à T411, site que certains utilisaient quotidiennement, les internautes sont partis à la recherche d’alternatives, comme à chaque fois que se présente ce type de situation. Les petits conseils s’échangent entre internautes, par messages privés pour les plus prudents, publiquement pour les plus téméraires. Comme souvent dans ce genre de situation, d’autres sites, au nom, à l’apparence et à l’adresse proches de ceux du défunt, apparaissent sur la Toile. S’il arrive que les sites fermés renaissent, menés parfois par des équipes différentes de l’originale, les pseudo-résurrections sont souvent des arnaques.

Certains se sont peut-être tournés vers des offres légales, lassés de se voir régulièrement privés de leur pourvoyeur de contenus – mais les plates-formes légales ne disent pas si la fermeture de géants du téléchargement a un effet sur leurs abonnements.

Une offre légale dont l’existence même dépend de la fermeture de ces sites, assure au Monde David El-Sayegh :

« La régulation du marché est nécessaire pour ceux qui investissent, qui prennent des risques et qui rémunèrent les créateurs. Ils n’accepteraient pas d’investir cet argent si par ailleurs il n’y avait pas de plan de lutte contre la piraterie. Sans respect des droits, il n’y a pas d’offre légale. Vous n’allez pas ouvrir un commerce de vins si dans votre rue il n’y a que des vendeurs d’alcools illicites qui ne respectent aucune régulation. »

Sur les réseaux sociaux, nombreux sont les internautes à contester la fermeture de T411, déplorant la perte de « ce qui est sans doute la plus grande cinémathèque de France », selon les propos d’un internaute. Certes, l’offre légale existe et s’est considérablement améliorée ces dernières années, mais celle-ci est encore insuffisante, estiment beaucoup d’internautes, qui peinent à y trouver certains films anciens, ou autres contenus très pointus. « #T411, c’était quand même le seul site où tu pouvais retrouver un vieux reportage de 1983 vu par 10 personnes dont toi et en fr [ançais] », affirme l’un. Un autre souligne que même en étant abonné à plusieurs services payants, il continue tout de même à télécharger certains contenus, introuvables sur ces services.

Un argument que connaît bien David El-Sayegh, mais qui ne le convainc pas : « C’est un prétexte. Les gens qui piratent, la vérité c’est qu’ils ne veulent pas rémunérer la création. L’offre légale est toujours perfectible, mais on a atteint un niveau suffisamment satisfaisant pour ne pas utiliser ce genre de prétexte qui pouvait marcher en 2004. »

Une solution avancée par certains acteurs, comme la Quadrature du Net, une association française de défense des libertés, serait la légalisation du peer-to-peer (P2P), « couplée à une redevance levée sur l’abonnement Internet, de l’ordre de 4 ou 5 euros par mois, afin que cela constitue une nouvelle forme de financement pour la création », expliquait Lionel Maurel, membre de son conseil d’administration, après la fermeture de Zone Téléchargement.

The Pirate Bay résiste

Le site « The Pirate Bay » a été fondé en 2003. | The Pirate Bay

Mais au milieu des gravats, un site semble encore et toujours résister aux autorités : The Pirate Bay, vaisseau amiral du P2P et du téléchargement illégal, fondé il y a plus de treize ans. Malgré les procès, les condamnations de ses fondateurs et les blocages dans différents pays – le site est par exemple inaccessible en France par les moyens traditionnels –, The Pirate Bay existe toujours et demeure le plus célèbre au monde. Ce qui ne décourage pas ses détracteurs. Ce mois-ci encore, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision à l’encontre du site, estimant que, même si celui-ci n’héberge aucune œuvre, la mise à disposition de liens constitue bien une violation du droit d’auteur.

Mais les fondateurs du site, qui ont brandi comme étendard, durant ces affaires, un idéal de libre partage de la culture, ont fini par jeter l’éponge. A l’image de Peter Sunde, l’un des plus médiatisés et politisés du site, qu’il a quitté il y a bien longtemps. Il ne cache plus sa déception sur la façon dont évolue Internet, comme il l’expliquait encore début juin dans les colonnes du site spécialisé The Next Web :

« Nous, les internautes, avons en quelque sorte perdu Internet, au profit de la société capitaliste, dont on espérait le préserver. Il y a eu une petite ouverture vers un Internet décentralisé, mais nous l’avons perdue par naïveté. Ces entreprises essaient de se donner une bonne image pour prendre le dessus, elles font croire qu’elles vont vous apporter quelque chose. Comme Spotify, qui vous dit qu’il vous apporte de la musique et qu’il est passionné par la musique, et toute la com’ autour de ça. »

Pour lui, plus aucun doute : la bataille idéologique est déjà perdue.