Le sommet qui doit réunir à Bamako, dimanche 2 juillet, les chefs d’Etat des pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) et le nouveau président français donnera l’orientation de la lutte contre le terrorisme dans la région. Au-delà, il sera aussi un test grandeur nature des futures relations entre la France et les pays africains francophones.

Naturellement, ce sommet sera essentiellement consacré à la lutte contre le terrorisme. Il n’est cependant pas certain que les parties accordent la même priorité à cet objectif commun.

Succès rapide et retour

Soucieux du redressement économique et donc politique de la France afin qu’elle reprenne son rang en Europe et dans le monde, le président Macron cherche une solution qui permet d’éviter l’enlisement de la force « Barkhane » dans le Sahel. Il a la bonne approche : on se bat pour gagner.

Il sait que la nature de la menace ne cessant de changer, la réponse fait appel à un plus vaste et plus long engagement militaire. Il sait aussi que cet engagement a besoin d’un large appui diplomatique et demande beaucoup de temps et de ressources humaines et financières. Rester longtemps, c’est exposer la vie et le prestige de 4 000 soldats de l’opération « Barkhane » qui coûtent 500 millions d’euros par an. Partir sur un échec n’est pas une option.

L’opinion publique française, pourtant habituée aux opérations extérieures de son armée, exige un succès rapide ou le retour des soldats au pays. Tout sauf un enlisement.

Un compromis est indispensable entre les objectifs à long terme – stabilité et démocratisation du Sahel – et les contraintes de court terme liées aux exigences des opinions publiques nationales. Dans ce contexte, et malgré des succès liés à sa grande mobilité, le retrait de « Barkhane » et des troupes internationales ne peut être exclu, y compris à moyen terme.

Préoccupés par la consolidation, voire la pérennisation de leur pouvoir, les partenaires sahéliens de la France sont naturellement opposés au terrorisme. Comme leurs aînés étaient opposés à la menace communiste durant la guerre froide. Mais ces deux périodes sont structurellement différentes. Le monde actuel est plus « fluide », la menace, bien que sérieuse, n’est pas nucléaire et l’information est difficile à bloquer.

Il est donc essentiel que les dirigeants du Sahel acceptent de traiter sérieusement toutes les menaces à la paix, y compris celles qui alimentent le terreau où germe et se développe le terrorisme. Celui-ci ne se surgit pas ex nihilo mais après une lente maturation sur un terrain miné par les dégâts d’une mauvaise gestion des Etats.

Partenariat et franchise

Demander une meilleure gouvernance, plus de distance avec l’argent public et donc moins de corruption, plus d’inclusion sociale, une meilleure professionnalisation de forces de sécurité moins tribalisées, des mesures favorisant de bonnes politiques frontalières, tout cela contribuera à mieux combattre l’extrémisme violent.

Inscrire ces points à l’ordre du jour d’un sommet entre amis n’est pas s’ingérer dans les affaires intérieures des Etats. Ayant remanié son premier gouvernement en se séparant d’alliés politiques solides pour éviter toute ambiguïté quant à sa détermination de promouvoir la transparence, le président Macron est en bonne position pour parler de bonne gestion avec ses pairs à Bamako.

La persistance de malentendus et de non-dits entre partenaires africains et français affaiblit le front commun de la lutte contre l’extrémisme violent. Elle contribue aussi à accélérer les dysfonctionnements des Etats et fragilise davantage leurs capacités de lutte contre les mouvements radicaux. Enfin, elle élargit et renforce, à travers le Sahel, la base des recrutements de djihadistes et leurs capacités opérationnelles.

Face aux enjeux sécuritaires actuels, les rapports entre la France et ses amis africains doivent être gérés avec sagesse et lucidité dans l’intérêt de tous. A cet égard, les conditions sont réunies pour dépasser les récriminations passées et travailler en partenariat, c’est-à-dire avec franchise.

A la demande de Paris, le Conseil de sécurité des Nations unies du 20 juin a adopté la résolution 2359 (2017) entérinant l’envoi d’une force de 5 000 hommes. Cette force, à fournir par les Etats sahéliens du G5, viendra s’ajouter aux troupes nationales, à celles de la Minusma (12 000 hommes) aux forces françaises de « Barkhane » et autres forces spéciales, notamment allemandes et américaines.

Selon les milieux bien informés, les Etats-Unis, qui couvrent entre 28 % et 32 % de ce budget du département des opérations du maintien de la paix, ne comptent pas y participer financièrement. Les 50 millions annoncés par l’UE serviront pour un début de lancement de l’opération.

Par son excellente connaissance des mécanismes onusiens, la diplomatie française finira par bien trouver un résultat satisfaisant. Mais la solution n’est pas que militaire.

Vide institutionnel

Dans un monde où les citoyens sont connectés et instantanément informés, ignorer la demande populaire pour une meilleure gestion des économies africaines et des droits politiques encourage et nourrit les extrémismes. Le président Macron ne peut manquer de le rappeler.

Ces situations délégitiment et décrédibilisent des gouvernements ainsi que leur efficacité sur le terrain. Les institutions étant fréquemment en panne et les Etats de plus en plus absents de la vie des citoyens, l’incivisme gagne rapidement du terrain à travers le Sahel. Ce vide institutionnel ouvre la voie à tout ce qui affaiblit l’Etat central : népotisme, tribalisme, trafics divers et radicalisme. La violence et l’anarchie deviennent structurelles, y compris dans les capitales. Les radicaux occupent et exploitent les espaces ainsi laissés vacants.

Aujourd’hui, l’une des plus grandes menaces dans le Sahel est cette lente déconstruction des Etats post-coloniaux. Leur retribalisation avancée rend difficile toute solution militaire. Elle invite, au contraire, au dialogue social et à la formation de grandes coalitions politiques ou gouvernements d’union nationale, pour restaurer la confiance et mieux gérer les crises.

Lors de son établissement en 2011, le Centre des stratégies pour la sécurité au Sahel-Sahara (Centre 4S) s’était fixé un objectif, toujours d’actualité : « Le Centre œuvrera afin que cette région demeure un acteur de son devenir et non un sujet de préoccupation ou une source d’instabilité pour la communauté internationale. »

Ce vœu devra être réaffirmé à l’issue du Sommet de Bamako.

Ahmedou Ould Abdallah est un diplomate mauritanien. Il a été secrétaire général adjoint des Nations unies auprès de Kofi Annan.