En février, un nouveau président a été élu en Somalie alors qu’une sécheresse sans précédent frappait le pays. Pendant le mois du ramadan qui vient de s’achever, les attentats des Chabab se sont multipliés alors que la Force de l’Union africaine (Amisom) devrait entamer sous peu son retrait du pays.

Veronique Lorenzo, ambassadrice de l’Union européenne en Somalie depuis novembre 2016, revient sur les nombreux défis auxquels doit faire face le pays.

Plus de quatre mois après son élection à la tête de la Somalie, quel bilan faites-vous de l’action du président Mohamed Abdullahi Mohamed, dit « Farmajo » ?

Veronique Lorenzo « Farmajo » est arrivé au pouvoir dans un contexte déroutant. Il dispose d’un fort soutien populaire. Tout le monde s’attend à ce qu’il transforme la Somalie en six mois, ce qui est bien sûr un rêve impossible.

Pour ce qui est du positif, le président a réussi à former un gouvernement, ce qui n’était pas gagné d’avance. Chaque ministre a élaboré une feuille de route pour l’année à venir. Il a aussi réussi à augmenter le budget de l’Etat de 2 millions de dollars par mois (1,75 million d’euros), ce qui est beaucoup quand on sait qu’il ne dépasse pas les 15 millions. Le gouvernement paie aujourd’hui ses fonctionnaires. C’est un énorme progrès.

On a aussi un début de lutte contre la corruption : 20 à 30 fonctionnaires ont été renvoyés de leur poste pour soupçons de fraude. Le gouvernement a réussi à collecter 5 millions de dollars supplémentaires pour lutter contre la sécheresse. C’est peu par rapport aux besoins, chiffrés à 1,5 milliard de dollars, mais très fort sur le plan symbolique. On sent un gouvernement volontaire.

A l’inverse, qu’est-ce qui vous déçoit ?

Le gouvernement est compétent, mais technocratique et issu de la diaspora. Le président et ses ministres imaginent qu’on peut faire émerger un Etat somalien tout neuf, fort et central. Cela ne correspond pas à la réalité du terrain dans une fédération où les différents Etats rivalisent depuis longtemps avec le pouvoir central. Le gouvernement doit négocier et prendre en compte la volonté de chaque région de se gouverner elle-même.

Faut-il négocier avec les Chabab ?

Sur le plan sécuritaire, on nous dit que les forces de sécurité de Mogadiscio sont aujourd’hui placées sous un commandement unifié. Les opérations se multiplient pour nettoyer la ville. 1 600 soldats de l’armée nationale (SNA) mènent en ce moment une offensive contre les Chabab dans le sud vers Merka. Mais il est vrai que, malgré tout, la violence continue.

Je pense qu’il faut débuter un processus de réconciliation locale qui s’attaque aux griefs de la population qui forment le terreau sur lequel prospèrent les Chabab. Ceux-là ne seront jamais éliminés par une seule action militaire.

En 2016, l’Union européenne (UE) a diminué son financement de l’Amisom de 20 %, au grand dam des pays africains contributeurs en troupe. Allez-vous poursuivre ces diminutions de crédits ?

L’Amisom est dans une situation délicate. Après dix ans de bons et loyaux services, elle a atteint les limites de sa mission. Une transition doit débuter à partir de 2018 pour permettre aux forces de sécurité somaliennes de reprendre le rôle qui est le leur. Cela permettra de réduire la contribution de l’UE. Il faudra dans tous les cas envisager un meilleur partage du fardeau. D’autres crises ont lieu en Afrique et plusieurs Etats membres de l’UE souhaiteraient une meilleure répartition des aides.

Vous dites que les forces somaliennes doivent « reprendre le rôle qui est le leur ». En vingt-cinq ans, au moins 70 000 soldats ont été entraînés par la communauté internationale : en vain ! Comment reconstruire une armée somalienne en moins de deux ans ?

S’il y a des soldats redoutables dans ce monde, ce sont bien les Somaliens ! Ils savent se battre et l’ont démontré à de multiples reprises. Les milices locales organisées par les gouvernements locaux, comme par exemple les Ras Kamboni du Jubbaland, sont très efficaces. Le problème, au niveau national, n’est pas tant l’entraînement que le management, la planification, la chaîne de commandement. Tout ce qui est « soft ». Le problème de l’armée somalienne, c’est le sens du collectif.

La sécheresse a frappé durement le pays. Maintenant que la saison des pluies s’achève, peut-on affirmer avoir évité la famine ?

A court terme, oui. On a évité le scénario catastrophe de 2011. Mais on n’est pas « sorti de l’auberge ». La sécheresse a entraîné d’énormes déplacements de population. Des gens qui ont tout perdu. Avant la crise, on avait 1,6 million de déplacés. Cette année, on devrait attendre les 2,5 millions, soit un Somalien sur quatre. C’est énorme !

Ces déplacements remettent en cause tous les équilibres claniques, démographiques et sociaux du pays. Cela aura des conséquences incalculables à long terme sur la structure même de la Somalie.

« Le Monde » a révélé en 2016 des allégations de corruption dans l’attribution du marché de la construction de l’ambassade de l’Union européenne à Mogadiscio. Où en est l’enquête ?

Je ne suis pas en mesure de faire un commentaire. L’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a été saisi. L’enquête suit son cours.