Theresa May, le 28 juin à Londres. | Matt Dunham / AP

Le nouveau gouvernement de Theresa May a passé de justesse la première épreuve parlementaire. Les amendements de l’opposition travailliste destinée à le renverser, jeudi 29 juin, lors des votes aux Communes sur le « Queen’s Speech », le programme législatif du gouvernement énoncé par la reine le 21 juin, ont été repoussés par 323 voix contre 309. Les dix députés du Parti unioniste démocrate (DUP) d’Irlande du Nord ont rempli leur tâche : trois semaines après les élections législatives où la première ministre a perdu la majorité, ils lui ont fourni l’appoint en voix qui lui manque désormais. Mais le prix à payer paraît de plus en plus élevé.

De façon inattendue, les femmes d’Irlande du Nord – où l’avortement reste illégal sauf en cas de mise en danger de la vie de la mère – vont bénéficier de cette situation d’instabilité : jeudi, le ministre des finances, Philip Hammond, a dû annoncer que celles-ci bénéficieraient désormais de la gratuité de l’interruption volontaire de grossesse lorsqu’elles viennent la pratiquer en Angleterre, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Cette soudaine sollicitude à l’égard des Irlandaises répondait à une préoccupation purement politicienne : empêcher l’adoption d’un amendement dans le même sens déposé au préalable par le Labour. Une cinquantaine de députés conservateurs étaient prêts à s’allier à l’opposition pour le voter et à mettre ainsi le gouvernement May en minorité. Ne disposant, même avec les députés DUP, que de quelques voix de majorité, il est sans cesse menacé et obligé à des concessions pour se maintenir.

La fragilité du pouvoir de Mme May, les dissensions croissantes au sein de son équipe et les points marqués par le Labour de Jeremy Corbyn ont été illustrés de façon spectaculaire mercredi 28 juin. Confronté aux Communes à un amendement travailliste décrétant la fin du plafonnement de la hausse du traitement des fonctionnaires (1 % par an fixé depuis 2012 et jusqu’en 2019, alors que l’inflation est de 2,9 %), Downing Street a paru un temps y céder. A la mi-journée, un porte-parole déclarait que le gouvernement « écoutait le message adressé par les électeurs [favorable à la fin de l’austérité budgétaire] ». Et de préciser : « Nous comprenons la lassitude de la population après des années passées à reconstruire l’économie ». L’annonce sonnait comme une victoire de la rhétorique anti-austérité de la campagne de M. Corbyn.

Mais quelques heures plus tard, Downing Street opérait une totale volte-face en assurant : « Notre politique n’a pas changé ». Entre-temps, le ministre des finances, Philip Hammond, avait rappelé que la décision d’alléger ou non l’austérité lui appartient et qu’elle serait prise à l’automne. L’épisode se limiterait à un couac de communication s’il n’intervenait dans un contexte déjà tendu entre Mme May et M. Hammond.

Perte d’autorité

La première ministre, qui défend un « Brexit dur » (sortie du marché unique et fin de la libre entrée des Européens), avait prévu de limoger, après les élections, le chancelier de l’Echiquier qui, lui, plaide pour un accès maximum au marché européen. L’échec électoral de Mme May a remis en selle M. Hammond. Partisan d’un desserrement modéré de la discipline budgétaire, le chancelier a eu le dernier mot mercredi, mettant en lumière la perte d’autorité de Mme May.

M. Corbyn, lui, a réussi à hisser la question de l’austérité au centre du débat politique. Pendant la campagne, une infirmière avait ému l’opinion en expliquant à Mme May que la faiblesse de son salaire l’obligeait à fréquenter une banque alimentaire. La mise en cause des coupes budgétaires dans la police au moment des attentats a aussi contribué à remettre en cause ce dogme, tout comme l’incendie de la Grenfell Tower (80 morts, selon un bilan provisoire). « Sept années de coupes dans nos services d’urgence ont compromis notre sécurité. Il est temps que cela change », a estimé M. Corbyn. Le cadeau d’un milliard de livres sterling (1,1 milliard d’euros) offert à l’Irlande du Nord en échange du soutien du DUP a fait déborder la coupe.

Selon une enquête, une large majorité des Britanniques souhaitent des investissements dans les services publics et 48 % sont favorables à une augmentation des impôts, taux le plus élevé enregistré depuis treize ans. Mercredi et jeudi, Theresa May a sauvé son gouvernement en louvoyant entre quelques écueils. Mais les hauts récifs des lois sur le Brexit approchent et rien ne dit que les tories, très divisés sur la question européenne, laisseront passer le frêle esquif qu’elle tente de commander.