Louis Nicollin, en janvier 2011. | PASCAL GUYOT / AFP

Marwan est né à La Paillade il y a trente et un ans et, « depuis tout petit », il passe ses week-ends au stade qui domine son quartier. « A La Paillade, j’ai vécu mon enfance et adolescence avec le stade : on l’a vu s’agrandir petit à petit jusqu’au Mondial 1998, où on a construit la dernière tribune. »

Comme beaucoup de Pailladins, Marwan accuse le coup après le décès de Louis Nicollin, patron du club de football de Montpellier ancré dans ce quartier : « Il a fait rayonner la ville au plan national et international. Grâce à lui, Montpellier reste l’un des derniers clubs importants de foot, qui a su garder un esprit artisanal. En 2012, quand on a damé le pion aux Parisiens qui avaient pourtant un budget monstre avec l’argent qatari, c’était aussi la victoire d’un certain modèle ! »

Ce titre de champion de France obtenu en 2012 face à Paris restera le principal fait de gloire du président. Louis Nicollin est alors obligé de tenir sa promesse : il s’était engagé, en cas de victoire, à se faire une crête iroquoise sur la tête, aux couleurs bleues et orange du club. Le fort en gueule a parfois la langue qui dérape, mais il tient ses promesses.

« La Paillade, la fille que je n’ai jamais eue »

La fusion entre Louis Nicollin et ce quartier de La Paillade remonte aux années 70. L’homme d’affaire quitte Lyon pour Montpellier en 1967 pour gérer les affaires familiales dans la gestion des déchets. Il a vingt-quatre ans. Sept ans plus tard, la trentaine tout juste passée, tout en gardant la direction de l’entreprise familiale, il reprend le club historique de Montpellier, un club prestigieux dans les années 40 et 50, mais qui s’est totalement effondré dans les années 70. A l’époque, le Montpellier Paillade Sport Club évolue en division d’honneur. En sept saisons, le nouveau patron va le faire remonter dans l’élite du foot français.

Cette histoire fait évidemment de Louis Nicollin une figure incontournable de ce quartier populaire de Montpellier. Même au plan national, la figure de Nicollin est finalement plus attachée à ce quartier de La Paillade qu’à celle plus globale de la ville de Montpellier. « La Paillade, la fille que je n’ai jamais eue », aimait à dire « Loulou ».

Car ce quartier est une entité en soi : La Paillade, c’est un ensemble un peu à l’écart du reste de la ville, un quartier qui regroupe 20 000 habitants et qui bénéficia longtemps du statut de ZUP (zone à urbaniser en priorité). Avec ses immenses tours HLM, La Paillade a accueilli un nombre important d’immigrés en provenance d’Algérie et du Maroc dans les années 60. Les problèmes économiques y restent importants, le taux de chômage le plus élevé de la ville, et le quartier n’a pas toujours bonne presse, au point que dans les années 2000, le maire Georges Frêche profite de l’arrivée du tramway pour le rebaptiser : aujourd’hui, il faut dire « La Mosson ».

« Louis Nicollin est une figure incontournable ici, précise André Vezinhet, longtemps président du conseil départemental de l’Hérault, élu conseiller général dans le quartier depuis 1977 et renouvelé sans interruption pendant trente ans. Nicollin représentait quelque chose d’important pour les amoureux du foot, bien sûr, mais aussi pour les gens modestes et simples qui voyaient chez cet homme, qui était pourtant un seigneur de la finance, quelqu’un de simple, capable de les comprendre et, mieux encore, de les respecter. Vous savez, quand l’équipe remporte de belles victoires, vous aviez aux fenêtres des banderoles “Allez la Paillade”, et ne croyez pas qu’elles viennent toutes des supporteurs du club ! C’est beaucoup plus large que cela ! »

« Si Nicollin se lance en politique, il fera ce qu’il veut »

Louis Nicollin est évidemment inséparable de l’autre grande figure montpelliéraine, Georges Frêche. C’est d’ailleurs plutôt le maire qui a convaincu le président du club d’envoyer les joueurs jouer dans les quartiers, dont, en premier chef, le quartier où se trouvait le stade. « Cela a renforcé la popularité de Nicollin, précise encore André Vezinhet. Je crois même que pendant quelque temps, Frêche le craignait un peu. Il m’avait dit : “Tu sais, si Nicollin se lance en politique, il fera ce qu’il veut”, mais je crois que ce n’était vraiment pas son ambition. Il dirigeait son entreprise, il dirigeait le club, cela lui suffisait largement. »

A interroger les jeunes Pailladins, l’annonce de la mort de leur figure emblématique a évidemment été un choc. Mais certains gardent un peu de distance. « J’adorais le personnage, précise ainsi AbdelKader, né à La Paillade et qui y réside encore, quarante ans après. Je l’aimais bien pour son côté rebelle, même au sein des présidents de club. En revanche, le club est resté fermé. Je pense que des Zinedine Zidane en puissance, il y en avait à La Paillade, mais ils n’ont jamais pu intégrer le club, c’est dommage. »

Propos que nuance aussitôt Marwan : « Le club a quand même intégré Abdel El Kaoutari, qui a été champion de France avec le MHSC en 2012 ! Il est né à Montpellier et doit sa carrière à Louis Nicollin. Mais c’est vrai que c’est sans doute le seul des quartiers de Montpellier à avoir intégré le centre de formation, puis l’équipe première. Après, les raisons peuvent être variées : est-ce que c’est la responsabilité de Nicollin ? Est-ce que c’est dû à un manque de structures sportives dans les quartiers ? Je n’en ai aucune idée ! »

« On va lui montrer qu’il comptait ! »

Pour Clare Hart, qui dirige une association d’insertion très présente à La Paillade, Face Hérault, ce qui était frappant chez Louis Nicollin, c’ était sa façon d’aborder les problèmes, de la même manière dans son entreprise que dans son club : « Il y avait des passerelles entre les deux. Il a fait du club une fierté pour son entreprise. Certains salariés de l’entreprise Nicollin sont allés travailler au club, il y avait un lien affectif entre les deux. » L’homme donnait aussi très volontiers des places aux éboueurs de sa société pour qu’ils puissent aller voir les matchs. « Il a toujours eu à cœur de faire avancer ses équipes, quelle qu’elles soient. Dans son entreprise, il y avait beaucoup de salariés illettrés : il a mis en place dès les années 70-80 des programmes pour les faire progresser, à une époque où très peu d’entreprises menaient des politiques sociales aussi ambitieuses. »

Avec les grands succès du club, l’histoire Nicollin-La Paillade a acquis une dimension tirant vers le conte de fées, mais le lien qui s’est construit pendant trente ans entre le chef d’entreprise et le quartier n’a pas toujours été passionnel. « Dans les années 80, le stade de La Paillade était clairement trop petit, précise André Vezinhet. Soit on le rénovait, soit on en construisait un autre. Je voulais vraiment que le stade reste dans le quartier, mais Frêche et Nicollin penchaient davantage vers un nouveau stade proche de l’autoroute, estimant que cela attirerait un public régional. Mais on a engagé les investissements sur le quartier et j’en suis heureux. »

Et Marwan précise que l’histoire se répète aujourd’hui : « Nicollin cherchait des solutions car le stade est inondable et parfois inondé. Il y a deux options : la rénovation du stade et de ses alentours ou le déménagement. Même si le stade fait partie du patrimoine de La Paillade, la décision n’était pas évidente et je ne sais pas ce que Nicollin envisageait. » Et maintenant, quel hommage vont rendre les Pailladins à leur grand homme ? « On va sûrement attendre la reprise du championnat, en août, mais c’est sûr, on va lui montrer qu’il comptait ! », précise un tout jeune supporteur, qui n’a pas connu toutes les heures de gloire, mais qui est visiblement aussi attaché à cette figure que les « anciens ».