Le Canada fêtera, samedi 1er juillet, la création de la Confédération canadienne, il y a cent cinquante ans. Mais, à dire vrai, les citoyens de ce vaste pays ont l’air de s’en moquer un peu, comme l’explique le New York Times. Les quelques tentatives de célébrer l’événement ont tourné au fiasco.

  • Un immense canard en plastique devrait arriver dans le port de Toronto, le jour de la fête. Les Canadiens s’en sont allègrement moqués – et on les comprend – avant de soupçonner un plagiat (oui, un plagiat dans la réalisation du canard).
  • Une série télévisée historique – « The Story of Us » (« Notre histoire ») – a provoqué la colère des habitants de certaines provinces, dont la partie francophone, qui ne s’y sentaient pas suffisamment représentés. La chaîne publique CBC a dû s’excuser auprès des Acadiens (provinces du Nouveau-Brunswick et de Nouvelle-Ecosse, ainsi que l’île du Prince-Edouard).
  • Un mouvement politique indigène a également prévu de perturber les festivités.

L’anniversaire du Canada colonisé

Ces « 150 ans » sont ceux de la réunion des provinces canadiennes conquises un siècle plus tôt par la France et l’Angleterre, la Confédération du 1er juillet 1867. Mais la population indigène ou « autochtone » y vit depuis bien plus longtemps. Les 150 ans du Canada sont donc d’abord l’anniversaire du Canada colonisé.

L’événement commémoré est loin de mériter tambours et trompettes, commente Stephen Marche dans le New York Times :

« Un groupe de vieux hommes blancs qui se réunissent pour allier des provinces éparses contrôlées jusque-là par l’empire britannique, sans la moindre considération ou participation des autochtones. »

Pourtant, le Canada avait célébré ses 100 ans avec force festivités, en 1967. Que s’est-il passé depuis ? D’abord le pays s’est doté d’un premier ministre érigé en modèle de progressisme (même si en pratique, les autochtones n’ont pas vraiment vu de résultats concrets). Avec lui, une nouvelle génération arrive au pouvoir, qui voit l’histoire du pays de manière plus critique. Justin Trudeau n’a-t-il pas déclaré que le Canada était le « premier Etat postnational » ? Pour lui, il n’existe pas au Canada « d’identité nationale ».

Dans le sillage du premier ministre canadien, Justin Trudeau – ici le 20 octobre 2015 –, une nouvelle génération arrive au pouvoir, qui voit l’histoire du pays de manière plus critique. | NICHOLAS KAMM / AFP

Un peu plus d’un an avant le décret anti-immigration de Donald Trump, Justin Trudeau avait accueilli en fanfare, et sans jamais perdre de vue les caméras, des familles de réfugiés syriens à l’aéroport de Toronto.

Comme l’affirmait déjà son père, Pierre Trudeau, premier ministre de 1980 à 1984, « il n’existe pas d’homme canadien idéal », au sens où leurs voisins ont, eux, un « homme américain » bien défini, auquel correspondent par ailleurs une origine ethnique et une couleur de peau.

L’écrivain Laurent Sagalovitsch le notait dans Slate :

« D’ailleurs, [le Canadien] serait bien en peine de dire ce qu’être canadien peut bien signifier. Tout juste s’accordera-t-il à penser qu’il n’est point américain – ce qui n’est pas rien par les temps qui courent. »

Le Canada connaît donc une sorte de « crise identitaire chronique », faite de la cohabitation de cultures et de langues diverses. Sur ce terreau difficile de faire prospérer le nationalisme qui a pu être populaire dans d’autres pays occidentaux.

Exemple éclairant : Kevin O’Leary, un leader de droite qui se voyait comme le Trump canadien, a abandonné sa campagne pour la direction du Parti conservateur… parce qu’il ne parlait pas français. « Pour diriger ce pays, il faut être capable de jongler entre les langues et les cultures », souligne Stephen Marche.

Le patriotisme, « un truc de losers »

PATRICK DOYLE / AFP

Pourtant, les Canadiens revendiquent beaucoup le fait d’être canadiens. Ouvrez l’œil lors des visites des sites touristiques, le Canadien est le seul à arborer systématiquement le drapeau national sur son sac à dos. Il met des drapeaux partout, y compris dans son jardin, et chante l’hymne national tous les matins à l’école.

Seulement, voilà. Le Canadien est fier de choses qui ne se célèbrent pas : il est plus tolérant que la moyenne, et en même temps, comme le souligne Stephen Marche, « on ne va pas vous donner un bonbon » parce que vous êtes moins raciste que le voisin. Il valorise la tolérance, la gentillesse et le sens de l’accueil.

Au point que c’en est presque agaçant. Il est par exemple difficile d’avoir l’un de ces « débats houleux », dont les habitués des terrasses françaises ont le secret, avec un Canadien, qui finira toujours par conclure que « tout le monde est différent, chacun ses opinions ». A part peut-être au sujet du Québec, qui est « toujours très compliqué à appréhender », rappelle Laurent Sagalovitsch.

Le Canadien est fier d’être un peu bizarre, de survivre à cinq mois de rude hiver avec le sourire, d’être obsédé par certains sports (le hockey) et d’en apprécier d’autres incompréhensibles pour les néophytes (le curling…). « Il y a un a priori selon lequel les Canadiens ne sont pas intéressants, regrette Emer O’Toole dans une ode à l’étrangeté canadienne publiée par le Guardian. Et les Canadiens eux-mêmes sont d’accord avec cette idée, parce qu’ils ne savent pas à quel point ils sont bizarres. »

« Le refus des Canadiens de s’autocélébrer est en soi digne d’être célébré », conclut Stephen Marche. Surtout depuis qu’il est devenu clair, après le Brexit et l’élection de Donald Trump, que « le patriotisme, c’est un truc de losers ».