Entre 2011 et 2013, 1 173 petites filles ont été concernées chaque année par la puberté précoce. REUTERS/Charles Platiau - RTX1L2SO | Charles Platiau / Reuters

Une enquête de l’Agence nationale de santé publique(ou Santé publique France), publiée à la fin de mai, s’est intéressée à la puberté précoce, une pathologie qui concerne les filles pubères avant 8 ans et les garçons avant 9 ans et demi. Entre 2011 et 2013, 3 519 petites filles et 351 petits garçons ont été concernés par la pathologie.

Cette étude relève en outre une prévalence de la pathologie dans les bassins lyonnais et toulousain, où les cas seraient dix fois plus nombreux que dans le reste de la France. Une disparité régionale que tempère le professeur Marc Nicolino, chef du service endocrinologie pédiatrique à l’hôpital Femme-mère-enfant de Lyon, qui la justifie par une « plus grande vigilance et une meilleure connaissance de la pathologie » dans les structures hospitalières de ces régions.

Avez-vous été surpris par les conclusions de l’enquête menée par Santé publique France ?

Marc Nicolino : Les résultats ont été pour moi une semi-surprise. Ils concluent qu’il n’y a pas d’augmentation des cas de puberté précoce, ce que nous observons aussi dans notre service. En revanche, j’ai été surpris par les données montrant une grande disparité régionale. Je ne conteste pas les chiffres, mais je conteste une interprétation un peu trop hâtive tirée du contexte environnemental notamment.

Quelle est votre interprétation de cette disparité ?

Je pense que cette enquête a un biais statistique non négligeable, car elle est fondée sur les prescriptions du traitement hormonal pour contrer la pathologie. Dire que ce traitement est plus souvent prescrit que dans le reste de la France peut indiquer que notre façon médicale de rechercher cette pathologie, de la dépister et de la traiter est plus importante à Lyon et à Toulouse, où se trouvent de grosses structures hospitalières qui drainent une population importante, plutôt qu’une prévalence de la pathologie.

Nous travaillons en étroite collaboration avec le service d’endocrinologie pédiatrique de Toulouse, et nous avons développé depuis plusieurs années une prise en charge très efficace de cette pathologie sur la base de modalités comparables et uniformes. Nous dépistons activement la puberté précoce grâce à un test non invasif et peu coûteux que nous avons mis au point, et nous traitons systématiquement les jeunes patients, là où d’autres services ailleurs en France peuvent être moins vigilants ou proactifs. Dans ce cas, les patients n’apparaissent pas autant dans le registre de l’étude en question, ce qui peut fausser la fréquence réelle de la maladie.

Vous ne pensez donc pas qu’il y ait un lien avec l’environnement des régions toulousaine et lyonnaise, et notamment une surexposition éventuelle aux perturbateurs endocriniens, des substances chimiques omniprésentes dans l’environnement humain.

Dans cette enquête, il n’y a aucun élément qui permet d’affirmer que la région lyonnaise est exposée à des facteurs environnementaux pouvant provoquer des cas de puberté précoce. Etablir ce lien, c’est faire un raccourci hâtif et alarmant pour le grand public, sans aucune preuve pour le soutenir. Les effets d’alerte ont toujours des conséquences.

Je pense qu’il y a évidemment un important travail épidémiologique à mener pour comprendre un peu plus l’origine de ces pubertés précoces, dans lesquelles on sait déjà que le surpoids et l’origine ethnique peuvent être un facteur déclenchant.

A titre personnel, je demande toujours la profession des parents quand une famille confrontée à un cas de puberté précoce nous est adressée, pour voir s’il y a proximité avec des perturbateurs endocriniens, comme dans le domaine agricole ou dans celui des cosmétiques. Cela devrait évidemment être élargi et creusé.

Pour l’heure, il faut admettre qu’on ne sait pas encore s’il existe ou non un lien, et il serait préférable de ne pas inquiéter à tort les populations avant que les épidémiologistes aient éclairci ces hypothèses de travail.