Rodrigo Duterte a fait de la guerre contre la drogue, son cheval de bataille. | Bullit Marquez / AP

Des milliers de morts, des prisons pleines à craquer, une figure de l’opposition derrière les barreaux, des chefs d’Etats insultés… Un an après l’installation de Rodrigo Duterte au pouvoir à Manille, vendredi 30 juillet, Human Rights Watch a dénoncé la « calamité » de sa présidence. Et pourtant, l’action du chef de l’Etat est soutenue par 78 % des citoyens, selon un récent sondage.

  • L’ascension du « maire »

Fils d’un gouverneur de province du sud du pays, Rodrigo Duterte a été durant 22 ans maire de Davao. Il y a imposé des mesures telles qu’une interdiction de fumer dans les rues ; mais ce sont surtout ses méthodes contre la criminalité et la drogue qui l’ont rendu célèbre. Il a notamment invité les policiers à ne pas hésiter à abattre les suspects.

C’est au même moment qu’a commencé à sévir un escadron de la mort, encore actif aujourd’hui. Au moins 1 400 individus ont ainsi été victimes d’exécutions extra-judiciaires sous ses mandats. M. Duterte avait promis de répliquer ce modèle à l’échelle nationale s’il était élu à la présidentielle de 2016 et de « jeter tant de corps dans la baie de Manille que les poissons seront obèses ».

  • Du sang contre la drogue

Le « punisseur » comme a titré Time Magazine à son sujet, n’avait pas bluffé. Au premier semestre de sa présidence, on dénombrait environ mille morts par mois. Les deux tiers ont été abattus par de mystérieux tueurs à moto opérant la nuit et laissant sur leurs victimes des messages tels que « je suis un dealer », un mode opératoire bien connu de l’escadron de la mort de Davao. Le dernier tiers a été décimé par les forces de police lors de descentes dans le cadre d’une campagne baptisé « Double barrel » (double canon).

Un mémo interne de la police nationale, consulté par Le Monde, ordonne de « se focaliser sur la neutralisation des individus liés à la drogue au niveau de la rue ». Les prisons sont depuis pleines de petits suspects ou de simples toxicomanes ayant préféré se présenter à un centre de détention que de risquer d’être abattus dans leur quartier. D’autres vivent d’église en église, une existence de fugitif pour tenter de sauver leur peau.

  • L’archipel à la dérive

En février, le bilan s’élevait à 7 000 victimes mais la police nationale joue depuis sur l’absence de résultats d’enquêtes pour ne plus fournir de bilan. Rodrigo Duterte et son entourage répètent à l’envie que ces morts ne sont que le fruit de règlements de compte entre gangs rivaux.

« Le président Duterte et son gouvernement ont démontré une absence fondamentale de volonté de respecter les droits et d’apporter la justice à ceux dont les droits ont été bafoués » dénonce Phelim Kine, sous-directeur pour l’Asie de Human Rights Watch. Il ajoute : « Une enquête des Nations unies est absolument nécessaire pour aider à faire cesser le massacre et rendre compte de la responsabilité de Duterte dans cette catastrophe pour les droits de l’homme. »

  • Une nouvelle politique étrangère

Face à la multiplication des exécutions extra-judiciaires, les critiques occidentales n’ont pas tardé. Mais le président les a écartées en traitant à l’époque le président américain Barack Obama de « fils de pute » et en dégainant son majeur, ainsi qu’un « fuck you » contre l’Union européenne.

M. Duterte a dit son intention de rompre avec l’alignement historique des Philippines derrière l’allié américain pour se rapprocher de la Chine. Il considère que Pékin est bien plus à même de lui servir des réalisations concrètes, notamment les lignes de chemin de fer qu’il rêve d’offrir à son peuple.

Les relations de M. Duterte avec les Etats-Unis se sont toutefois apaisées depuis l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche. Le nouveau président américain l’a félicité fin avril par téléphone d’un « you’re doing a great job » (« vous faites du super boulot »).

  • Duterte à la manœuvre

Beaucoup de Philippins sont convaincus que l’élite politique est bien trop corrompue pour s’intéresser à la sécurité des Philippins du bas de l’échelle sociale, tandis que M. Duterte leur promet des résultats concrets. « Il a l’intérêt du peuple en tête. Ses méthodes peuvent être inorthodoxes mais au final, il résout les problèmes », souligne son ami Vicente Lao, patron d’un groupe de construction et président de la Chambre de commerce de Mindanao, pour expliquer sa popularité.

Au passage, M. Duterte a retourné sa guerre contre la drogue contre ses opposants. L’une des voix les plus critiques, la sénatrice et ex-ministre de la justice Leila de Lima, a été arrêtée en février. « Nous sommes un pays en développement, nos institutions n’étaient pas préparées contre un tel assaut, elles sont affaiblies de jour en jour », s’inquiète le sénateur d’opposition Antonio Trillanes.

Parmi les mesures appuyées par M. Duterte, le transfert du cercueil de Ferdinand Marcos, qui a imposé quatorze années de loi martiale au pays (1972-1986), au cimetière des héros de la Nation. Ou encore un projet de loi réinstaurant la peine de mort, texte déjà approuvé par la Chambre basse à l’issue de plusieurs lectures et qui doit encore être voté par le Sénat.

  • A l’épreuve des djihadistes

Depuis le 23 mai, Rodrigo Duterte est confronté à une crise qui met sa crédibilité à l’épreuve. Ce jour-là, une coalition de chefs de guerre, auxquels se joignent des djihadistes internationaux, se saisissait en quelques heures d’une ville de 200 000 habitants, Marawi, dans le sud musulman du pays.

Le gouvernement a reconnu a posteriori que le renseignement avait connaissance d’un renforcement djihadiste dans la ville en amont de l’attaque. Le chef de l’Etat s’était malgré tout rendu en visite à Moscou, d’où il a dû rentrer en urgence pour instaurer la loi martiale dans le sud du pays.

Son ministre de la défense, Delfin Lorenzana, avait alors assuré qu’il faudrait au maximum 48 heures pour reprendre le contrôle de Marawi. Mais l’armée peine depuis cinq semaines à regagner ponts et rues sous le feu des snipers ennemis. Les djihadistes tiennent des civils en otage, notamment un prêtre et ses ouailles kidnappés en pleine messe, une situation qui complique considérablement les opérations.

Mais M. Duterte a dit mercredi 28 juin aux soldats de ne pas hésiter à tirer même s’il y a des civils. « C’est le devoir des civils de fuir ou de chercher refuge » a-t-il justifié. Le même jour, M. Duterte a comparé sa première année au pouvoir aux montagnes russes : « Quand vous y êtes, c’est le grand huit. Donc on ne peut noter qu’à la fin du tour. »