Qui veut asseoir sa suprématie plante son drapeau en territoire ennemi. Le Tour de France s’est installé en Allemagne, où il n’était plus le bienvenu depuis dix ans. Le pays s’était détourné de lui, du cyclisme tout entier d’ailleurs, quand la Grande Boucle se débattait avec de nouvelles affaires de dopage à la fin des années 2000.

Outre-Rhin, les chaînes publiques avaient coupé les images, la presse ne se risquait plus à rendre compte d’une course frelatée. La pays ne comptait plus d’équipe professionnelle, et plus de tour national. Ce territoire perdu au cœur de l’Europe noircissait le tableau d’un sport conquérant, gagnant des parts de marché sur d’autres continents.

En préparation du départ du Tour de France, un ouvrier décore un pont sur le parcours de la première étape, le 29 juin. | CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

Pour consoler la boudeuse, il fallait des promesses de lutte antidopage, quelques belles gueules locales – Tony Martin, Marcel Kittel, John Degenkolb – et une main tendue. Dans son intérêt bien compris, le propriétaire du Tour de France, Amaury Sport Organisation (ASO), s’est posé en nouvel ami du cyclisme allemand : remise sur pied du Tour d’Allemagne, en 2018, rachat de l’historique Grand Prix de Francfort et attribution du « Grand Départ » du Tour 2017 à Düsseldorf (Rhénanie-du-Nord-Westphalie).

De la Lorraine à la Guyenne

Ces trois jours dans la Ruhr – présentation des équipes vendredi 30 juin, contre-la-montre samedi 1er juillet, départ pour Liège (Belgique) le lendemain – diront s’il faut publier les bans du remariage entre l’Allemagne et le cyclisme. A l’origine du divorce, le seul vainqueur allemand du Tour, Jan Ullrich, n’a pas été convié à la cérémonie, vingt ans après sa victoire dans la Grande Boucle la plus « érythropoïétinisée » de l’histoire.

Une bâche sur un immeuble de Dusseldorf fait la promotion de l’album du groupe allemand Kraftwerk, le 30 jiin. | BENOIT TESSIER / REUTERS

Il était temps que le Tour visite Düsseldorf : c’est là que se sont rencontrés les membres du groupe de musique électronique Kraftwerk, à l’origine de l’entêtant titre Tour de France (1983) qui, bien avant la mode des fixies, déringardisait un peu l’événement de juillet. Les paroles étaient relativement accessibles :

« L’Enfer du Nord, Paris-Roubaix, Tour de France ! Tour de France !

La Côte d’Azur et Saint-Tropez, Tour de France ! Tour de France !

Les Alpes et les Pyrénées, Tour de France ! Tour de France !

Dernière étape : Champs-Elysées, Tour de France ! Tour de France ! »

Comme Kraftwerk n’a pas dessiné le parcours cette année, le Tour n’ira ni au nord, ni à l’ouest, ni même au centre. On doute que les organisateurs l’aient fait exprès, mais cette Grande Boucle, qui n’en a que le nom, ressemble de manière frappante à la première partie du grand tour de France de Charles IX et Catherine de Médicis, en 1564 et 1565.

Soucieuse de mettre en scène la puissance monarchique dans des provinces déchirées par la première guerre de religion, la régente avait conduit le jeune roi de la Lorraine à la Guyenne (sud-ouest), en passant par la Bourgogne, le Dauphiné et la Provence.

Des cols plus pentus

Sur un parcours étonnamment similaire, l’ancien professionnel Thierry Gouvenou, traçant son quatrième Tour de France, a encore fait preuve d’audace et d’inventivité. Pour la première fois depuis 1992, les cinq massifs de l’Hexagone seront visités. Les deux dernières étapes dans les Alpes impressionnent – enchaînement des cols de la Croix-de-Fer et du Galibier puis, le lendemain, arrivée au sommet de l’Izoard.

Le parcours 2017. | LETOUR.FR

Mais la tendance récente, dans les grands tours, veut que la victoire se joue en dessous de 1 500 mètres. Sur un coup tactique en moyenne montagne, comme lors du dernier Tour d’Espagne, remporté par le Colombien Nairo Quintana, ou dans les contre-la-montre, comme pour le Tour d’Italie, en mai (victoire du Néerlandais Tom Dumoulin), ou le dernier Tour de France (avec le Britannique Christopher Froome).

La répartition dans le temps des moments forts, de la planche des Belles-Filles, le 5 juillet, au contre-la-montre arrivant au Stade-Vélodrome de Marseille le 22, obligera les favoris à une gestion très fine de leur forme et des forces de leur équipe.

Entre une édition 2016 anesthésiée et un millésime 2017 sous la menace d’une quatrième victoire de Christopher Froome, le Tour craint de lasser. En ne proposant que 36 kilomètres de contre-la-montre, en introduisant des cols plus pentus et des étapes au scénario moins lisible, dont la diffusion en intégralité pourrait influencer le comportement des coureurs, les organisateurs espèrent sans doute déstabiliser le Britannique et son équipe Sky.

Un vainqueur inédit ?

Cela ne se fera pas sans la complicité de ses adversaires, et c’est là que le bât blesse : Nairo Quintana, revenu fatigué du Giro, et l’Australien Richie Porte, le plus fort intrinsèquement cette saison, n’ont pas en eux le goût du risque qui renverse une hiérarchie.

L’Espagnol Alberto Contador, 34 ans, n’a plus rien à perdre, mais plus grand-chose à donner non plus : il ne gagnera sans doute pas le Tour, mais peut encore le faire perdre.

Qui alors ? Fabio Aru, impressionnant champion d’Italie dimanche, ou Romain Bardet, qui ne s’est jamais raté en juillet ? Ce serait respecter la tradition des Tours de France partis d’Allemagne, qui ont toujours couronné un vainqueur inédit : Felice Gimondi (1965), Joop Zoetemelk (1980) et Stephen Roche (1987). Et celle de Düsseldorf, dont le célèbre carnaval s’est fait une spécialité de ridiculiser les puissants.