D’une foulée alerte, visière posée sur d’impeccables cheveux blancs gonflés en chignon, Deirdre Larkin s’élance pour 8 km d’entraînement dans les faubourgs de Johannesburg. A 85 ans, cette ancienne pianiste concertiste venue sur le tard à la course à pied boucle un semi-marathon en à peine deux heures.

« Avant mes 78 ans, la dernière fois que j’avais couru, c’était au lycée et j’étais vraiment nulle », raconte-t-elle devant les 500 médailles qui recouvrent le mur d’une petite pièce exclusivement dédiée à ses exploits sportifs.

A côté des distinctions, quelques coupures de presse et des diplômes glanés dans diverses courses confirment la notoriété naissante de cette octogénaire marathonienne. Selfies avec des enfants, encouragements d’autres coureurs : Deirdre Larkin est devenue une attraction des courses sur lesquelles elle s’aligne.

Trois foulées, trois pas

« Les gens, quand ils me doublent – car il y en a quand même beaucoup ! – me saluent. Ils me disent : Eh, c’est vous qu’on a vue à la télévision ! Mais on ne parle pas longtemps car on doit garder notre souffle », explique-t-elle à l’issue d’un 10 km couru à Pretoria début juin.

« C’est très inspirant de voir quelqu’un de si vieux courir comme ça. J’espère courir et être en forme jusqu’à mes 90 ans ! », s’amuse Andisiwe Matshoba, un trentenaire qui a disputé la même course.

Rien ne prédestinait pourtant cette pianiste britannique, arrivée en Afrique du Sud en 1970, à collectionner les médailles. Au début des années 2000, son médecin lui diagnostique de l’ostéoporose contre laquelle les médicaments, les injections et même le yoga n’ont aucun effet. En 2010, l’un de ses quatre enfants revient brièvement vivre avec elle dans sa maison de Randburg, un quartier des classes moyennes de Johannesburg. « Mon fils courait trois fois par semaine. Je me suis dit que j’allais l’accompagner. Au début, je courais trois foulées et je m’arrêtais pour marcher trois pas », se souvient-elle.

En sept ans, ses progrès forcent le respect : en avril, elle a même été invitée à une course à Genève, « un merveilleux souvenir avec 10 km le long du lac Léman ». Il faut dire que Deirdre Larkin s’impose une routine digne d’un athlète de haut niveau : pas de sucre, pas de sel, pas de café et un réveil chaque matin à 5 heures pour aller s’entraîner. Résultat, en 2016, elle a bouclé 65 courses dont plusieurs semi-marathons. Avec à la clé un record du monde dans la catégorie des plus de 80 ans sur les 21 km, en deux heures et cinq minutes. « A chaque fois que je finis une course, je n’arrive pas à croire que je l’ai fait. Mais le lendemain, mon corps est là pour me le rappeler ! », assure-t-elle, l’œil pétillant.

« Mon sang circule plus vite dans mes veines, je sens tous mes muscles, je ne pouvais pas imaginer que j’en avais autant. Je me sens en vie, j’ai bien plus d’énergie », poursuit-elle, d’une voix aussi rapide que sa foulée.

« Courir même sur une seule jambe »

Une fois la matinée terminée, Deirdre ne fait pas la sieste pour autant. Tous les après-midi, elle se rend au volant de sa petite voiture jaune dans un lycée privé du nord de la ville pour donner des cours de piano. Toujours chaussée de ses Nike rose et bleues, elle a à peine troqué son short pour un pantalon qu’on la retrouve, baguette à la main, battant la mesure aux côtés d’une élève. Directive, elle ne laisse passer aucune erreur, mais elle sait féliciter son élève du jour pour ses progrès.

« Après les leçons, je suis épuisée. Mais quand je vois Deirdre, cela me rappelle que je peux accomplir ce que je veux dans la vie, car elle défie le destin », s’enthousiasme son élève Vuyo Tshwele, 17 ans, entre deux gammes. « C’est une sacrée inspiration pour moi, ça prouve que l’âge n’est qu’un chiffre. La plupart des gens pensent qu’ils sont trop vieux pour faire plein de choses et elle, à 85 ans, elle court plus vite que des gens de mon âge », ajoute l’adolescente.

Au total, une trentaine d’élèves passent chaque semaine devant ses yeux experts pour améliorer leurs arpèges. En septembre, Deirdre Larkin fêtera ses 86 ans. Pas question pour autant d’envisager de ralentir la cadence. « Je peux imaginer une vie sans courir. Mais ce serait comme une mort lente. Je continuerai de courir tant que je le pourrai. Même sur une seule jambe, je suis sûre que je pourrai y arriver ! »