La journée de fiançailles entre une Libanaise et un Syrien manque de tourner au fiasco. | CAPTURE D'ÉCRAN WEB

Le film libanais Mahbas de Sophie Boutros s’apprête à prendre la route des festivals de cinéma du monde entier tout au long de l’été. Le long-métrage, qui a enregistré 80 000 entrées dans son pays depuis sa sortie au printemps et qui est resté à l’affiche plus de treize semaines (une durée extraordinaire), ira aux États-Unis, dans plusieurs pays d’Europe, et même en Australie. Au cours des derniers mois, ce joli premier film, drôle et sensible, a été vu à Damas, Alep, Ramallah, Amman, ainsi qu’aux Émirats arabes unis, où vit une importante diaspora libanaise.

« Les relations entre Syriens et Libanais sont un peu similaires à celles des Français et des Allemands pendant la guerre. Ce sont les circonstances qui nous ont éloignés. » Sophie Boutros, réalisatrice 

Si Mahbas (« Solitaire ») a trouvé son public, c’est sans doute grâce à sa manière d’explorer avec légèreté un sujet brûlant : les relations compliquées entre les Libanais et les Syriens, minées par le lourd passif hérité de l’intervention de Damas durant la guerre (1975-1990) et de l’occupation par les troupes syriennes du pays du Cèdre, jusqu’en 2005. Les susceptibilités ont été ravivées par l’afflux massif de réfugiés syriens : ils sont plus de 1,5 million, soit près de 30 % de la population. Leur présence a donné lieu à des éruptions de racisme.

Mahbas évoque l’intolérance et les clichés, mais « sans leçons de morale ni sermons », comme y tenait Sophie Boutros, qui signe son premier long-métrage. « Pour moi, les relations entre Syriens et Libanais sont un peu similaires à celles des Français et des Allemands pendant la guerre. Ce sont les circonstances qui nous ont éloignés, mais on se ressemble trop pour être ennemis », explique la réalisatrice, qui vit à Dubaï.

Non-dits, blessures et préjugés

Pour raconter cette « relation d’amour et de haine », le film suit les pas d’un jeune couple qui s’apprête à se marier. Ghada est libanaise, son père est le notable d’un village. Samer est syrien, venu de la grande bourgeoisie damascène. Le passé les rattrape : la mère de Ghada vit dans le culte du souvenir de son frère, tué dans un bombardement de l’armée syrienne pendant la guerre du Liban. Non-dits, blessures et préjugés s’invitent pendant leur journée de fiançailles que raconte Mahbas. Mais aucune trace de pathos. Le film utilise l’humour, introduit par quelques personnages cocasses – un père infidèle, une mère snob, des villageois excités de la gâchette…

Devant la caméra, Sophie Boutros a rassemblé des acteurs libanais et syriens. Certains, comme Bassam Koussa, sont des stars : Bab Al-Hara, un feuilleton télévisé dont les saisons rythment depuis des années le mois de ramadan, a contribué à sa notoriété régionale. La réalisatrice, qui a longuement élaboré le scénario avec la Jordanienne Nadia Eliewat, s’inquiétait que le film passe par les ciseaux de la censure à Damas, puisqu’il évoque les responsabilités de l’armée syrienne pendant la guerre du Liban. Au final, Mahbas a été diffusé dans sa version originale en Syrie.

La bande originale du film « Mahbas », sous-titrée en français.

Mahbas (Solitaire) Trailer - A film by Sophie Boutros

Ce long-métrage, ancré dans une réalité très locale, parviendra-t-il à séduire hors du Moyen-Orient ? « Mahbas est peut-être plus facile à comprendre pour un public du Levant, mais il parle d’un thème universel : des gens qui ne s’acceptent pas. C’est d’actualité… », dit Sophie Boutros. L’un des prochains défis est de réussir à diffuser le film au Caire. Une gageure, alors que la production commerciale égyptienne y tient le haut de l’affiche.