Dans la rédaction d’Al-Jazira à Doha, le 8 juin. | NASEEM ZEITOON/REUTERS

Feu sur les Emirats ! A quelques heures de l’expiration de l’ultimatum adressé par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, l’Egypte et plusieurs de leurs alliés pour que le Qatar se plie à leurs demandes, la chaîne de télévision Al-Jazira, financée par le Qatar et dont le front anti-Doha réclame la fermeture, ne donne pas l’impression de baisser pavillon.

La chaîne qatarie – dans sa version en langue arabe – a diffusé, lundi 3 juillet, un sujet incendiaire de quatre minutes consacré à son voisin émirati. Ironiquement intitulé « Derrière les tours de la terre du bonheur [les Emirats comptent une ministre du bonheur], des tragédies humaines », il dénonçait pêle-mêle des violations massives des droits de l’homme, parfois commises par des membres de la famille régnante, la traque des opposants, la traite des êtres humains ou la corruption qui y sévirait…

Une réponse, sans aucun doute aux accusations du voisin émirati. « Les dirigeants du Qatar ont volontairement soutenu de dangereux extrémistes du Hamas, d’Al-Qaida, des Frères musulmans et bon nombre d’autres organisations terroristes. Les médias du Qatar ont amplifié les voix de ces terroristes, leur permettant de semer les graines de la haine et de la division, et d’encourager la violence et l’instabilité dans la région », avait affirmé, le 16 juin, le ministre des affaires étrangères émirati, Cheikh Abdallah Ben Zayed, dans une tribune au Monde.

Ce n’est pas le moindre de ses paradoxes : née dans un Etat autoritaire, la chaîne Al-Jazira a fait de la défense du pluralisme son credo. Elle s’est même décrite comme un « îlot de liberté dans une mer d’injustices ». Caisse de résonance de la diplomatie qatarie, elle se présente aussi comme un modèle d’indépendance. L’Arabie saoudite et ses alliés l’accusent d’interférer dans les affaires en ouvrant ses ondes à leurs opposants, en particulier islamistes. Al-Jazira a poussé en avant les Frères musulmans, parrainés par Doha, en Tunisie, en Egypte ou en Libye durant et immédiatement après les « printemps arabes ».

« Tentative de faire taire la liberté d’expression »

Face à l’offensive politique en cours, la chaîne multiplie ces derniers jours les sujets polémiques et s’offre même quelques provocations, comme une parodie de journal télévisé diffusée fin juin. Un clin d’œil à la presse « aux ordres » de ses détracteurs : « Que la paix soit sur le leader du pays adoré… »

« C’est comme si l’Allemagne demandait au Royaume-Uni de fermer la BBC. C’est absurde », a déclaré le directeur des programmes Al-Jazira English, Giles Trendle

Moins véhémente, la chaîne en langue anglaise se positionne surtout sur le terrain de la défense de la liberté d’expression en dénonçant « ceux qui demandent la fermeture de la chaîne et le droit des gens à l’information ». « Nous aussi avons des demandes : faire notre travail sans intimidations ni menaces et que la diversité des opinions soit célébrée et non crainte », affirment ses reporters et journalistes vedettes dans un clip. « Tout appel à la fermeture d’Al-Jazira n’est qu’une tentative de faire taire la liberté d’expression dans la région », martèle depuis le début de la crise le canal anglophone.

« C’est comme si l’Allemagne demandait au Royaume-Uni de fermer la BBC. C’est absurde », avait affirmé le 23 juin, le directeur des programmes d’Al-Jazira English, Giles Trendle, en réaction aux exigences saoudo-émiraties. « Certains régimes dans la région n’apprécient pas la diversité d’opinions », ajoutait-il, en assurant que la chaîne d’information « poursuivrait sa mission ».

Reste à savoir si la chaîne d’information et son modèle iconoclaste mêlant islamisme et libéralisme résisteront à cette attaque sans précédent dans un contexte où elle a déjà beaucoup perdu de son audience, contrecoup de l’échec des révolutions arabes dont elle a été le porte-voix : suppression de 1 200 emplois en 2016, fermeture d’Al-Jazira America, concurrence des médias nationaux ou privés dans le monde arabe, fermeture de ses bureaux et interdictions d’émettre, notamment en Egypte.

Lire notre entretien sur la crise entre Qatar et Arabie saoudite  : « Riyad ne veut pas laisser ses vassaux s’émanciper »

Les ministres des affaires étrangères saoudien, émirati, égyptien et bahreïni doivent se réunir au Caire – « en terre étrangère », hors du Golfe donc, commente la chaîne qatarie – mercredi 5 juillet pour décider s’ils lèvent ou non leurs sanctions contre Doha. Le Qatar a fait parvenir lundi sa réponse, dont la teneur n’est pas encore connue.