Donald Trump, à Washington, le 4 juillet. | ALEX BRANDON/AP

Pourquoi la Pologne ? La question s’est posée lorsque, le 9 juin, la Maison Blanche a annoncé que Varsovie serait la seule capitale européenne gratifiée d’une visite du président Donald Trump, jeudi 6 juillet, sur le chemin de Hambourg, où il doit participer, les 7 et 8, au sommet du G20. La réponse tient en partie dans la date de cette annonce : si le président américain n’avait jamais prêté attention à l’invitation de la Pologne, formulée dès son élection, en novembre 2016, il y a subitement trouvé un intérêt après son désastreux premier voyage en Europe, fin mai, à l’occasion du sommet de l’OTAN et de celui du G7.

« Trouvez-moi un pays européen où je serai bien accueilli », aurait ordonné Donald Trump à ses troupes, selon une source proche de la nouvelle équipe diplomatique américaine. Même le Royaume-Uni, où il avait été officiellement invité, n’était plus une étape envisageable, à cause de l’hostilité des Londoniens.

Ce fut donc la Pologne. M. Trump partage avec les dirigeants de ce pays, emmenés par Jaroslaw Kaczynski, le chef du parti Droit et justice (PiS), un certain nombre de valeurs et de postures populistes : le sentiment anti-immigration, les déclarations hostiles aux musulmans, l’euroscepticisme, le souverainisme, le nationalisme. En bref, Donald Trump est nettement plus proche des idées de Jaroslaw Kaczynski que de celles de la chancelière Angela Merkel.

Enjeu énergétique

Les Polonais, comme la plupart des pays européens autrefois sous le joug soviétique, gardent en outre à l’égard des Etats-Unis une profonde reconnaissance pour leur fermeté pendant la guerre froide. Le président américain a été invité à prononcer le grand discours de sa visite devant le monument de l’insurrection de Varsovie.

Déclenchée le 1er août 1944, cette rébellion de la population de la capitale contre l’occupant nazi – à ne pas confondre avec celle du ghetto juif de Varsovie, en 1943 –, que les troupes soviétiques laissèrent écraser avant d’entrer dans la ville, est un épisode fondateur pour les Polonais. La presse polonaise proche du PiS y voit déjà M. Trump prononcer l’équivalent du « Ich bin ein Berliner » de John F. Kennedy, en 1963.

Pour l’équipe de M. Kaczynski, cette visite est une aubaine. Varsovie est de plus en plus isolé en Europe depuis la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union. La patience de Bruxelles s’épuise face aux positions anti-européennes de pays qui, par ailleurs, trouvent naturel de toucher des fonds considérables de l’UE. Varsovie avait espéré faire du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie) un contrepoids à l’axe franco-allemand, mais les Tchèques et les Slovaques n’ont aucune envie de jouer les boute-feu et la solidarité au sein du groupe s’est nettement effritée.

Les dirigeants européens, tant à Bruxelles qu’à Berlin et à Paris, ont parfaitement flairé le potentiel de division que recèle cette visite

Avec la Croatie, la Pologne a donc suscité, en 2016, la création d’une autre organisation, l’« Initiative des Trois Mers », qui rassemble douze pays européens de la Baltique à la mer Noire et à l’Adriatique – Pologne, Lituanie, Estonie, Lettonie, Hongrie, Autriche, Slovénie, Croatie, République tchèque, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie – autour de projets d’infrastructures communes. Un sommet des Trois Mers a été organisé à Varsovie pendant la visite du président américain, qui a accepté d’y participer. Le gouvernement polonais espère voir consacrer ainsi son leadership régional, avec la bénédiction de l’Oncle Sam. Méfiants, du coup, ni le président autrichien ni le tchèque ne participeront à ce sommet.

L’autre enjeu de cette visite est énergétique. La Pologne souhaite se passer de gaz russe et s’approvisionner en gaz américain, dont elle ferait bénéficier l’Europe centrale. L’Allemagne a un projet concurrent, avec le gazoduc Nord Stream II, qui acheminerait du gaz russe en Europe. Il y a, enfin, de juteux contrats d’armement dans la balance : toujours inquiète des visées de la Russie, la Pologne a prévu de moderniser son armée.

Front uni

Son gouvernement serait certainement reconnaissant à Donald Trump s’il choisissait Varsovie pour affirmer son engagement envers l’article 5 de la Charte atlantique, engagement de solidarité qu’il a ostensiblement omis de formuler au sommet de l’OTAN, en mai, à Bruxelles.

Les dirigeants européens, tant à Bruxelles qu’à Berlin et à Paris, ont parfaitement flairé le potentiel de division que recèle cette visite. « Il vaut mieux que Trump aille en Pologne qu’en Arabie saoudite », a ironisé Sigmar Gabriel, le chef de la diplomatie allemande, devant la conférence annuelle du European Council on Foreign Relations à Berlin, le 26 juin.

Mais, derrière les boutades, « un gros travail de consolidation européenne » a été mené en amont, explique un responsable français, notamment pendant le tout dernier conseil européen de Bruxelles, pour s’assurer que l’Union européenne présentera un front uni au sommet du G20, en particulier sur les questions liées au climat. Et l’annonce de la venue de Donald Trump à Paris, les 13 et 14 juillet, a retiré son caractère exclusif à l’échappée polonaise.

La réalité est sans doute que le choix polonais de Donald Trump ne répond à aucune vision stratégique particulière, au-delà du souci de montrer à ses électeurs, dans l’Iowa ou dans l’Ohio, qu’il a aussi des foules prêtes à l’acclamer en Europe, pas seulement des manifestants hostiles.