Le pneumologue Michel Aubier, le 14 juin, au tribunal correctionnel de Paris. | CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Le professeur Michel Aubier va-t-il entrer dans l’histoire en devenant la première personne condamnée pour avoir menti sous serment devant une commission d’enquête parlementaire ? La 31e chambre correctionnelle de Paris doit rendre son jugement mercredi 5 juillet à partir de 13 h 30. A l’issue de l’audience, qui avait duré près de sept heures le 14 juin, le parquet avait requis une peine de 30 000 euros d’amende.

Ancien chef de service à l’hôpital Bichat à Paris, ce pneumologue réputé et très prisé des plateaux télé est accusé de « faux témoignage ». Auditionné le 16 avril 2015 par la commission d’enquête sénatoriale sur le coût financier de la pollution de l’air, le professeur Aubier avait déclaré qu’il n’avait « aucun lien avec les acteurs économiques » du secteur, omettant de préciser au passage qu’il était salarié depuis 1997 par le groupe Total comme médecin-conseil et membre du ­conseil d’administration de la Fondation Total depuis 2007.

« Total a investi sur le professeur Aubier, avait résumé en une formule, lors de l’audience du 14 juin, la procureure de la République, Flavie Le Sueur, avant de requérir la culpabilité du médecin. Vingt ans de lien salarial, membre de la fondation… C’est la marque d’une adhésion aux valeurs d’une entreprise. Et pendant toutes ces années où il intervenait sur le sujet de la pollution de l’air, il était en même temps salarié de la société Total, dont il nous a dit lui-même qu’elle était polluante ».

« Professeur Diesel »

Un réquisitoire à charge mais une demande de condamnation finalement clémente, alors que le délit de faux témoignage est passible de 75 000 euros d’amende et jusqu’à cinq ans de prison. Et que ce pneumologue rémunéré par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et l’université Paris-VII, a été payé jusqu’à 170 000 euros en 2014 par le groupe pétrolier français, comme l’avait révélé Le Monde le 12 juin.

Une collaboration que le médecin n’avait pas cru bon de mentionner ni aux sénateurs, ni à l’AP-HP (son employeur principal), ni dans sa déclaration publique d’intérêt auprès de la Haute Autorité de santé dont il était membre.

« Pour moi, il n’y avait pas de conflit d’intérêts », avait répété pendant l’audience Michel Aubier, aujourd’hui retraité et âgé de 69 ans mais dont le contrat avec Total se poursuit jusqu’à la fin de l’année. « Si je me retrouvais dans cette situation aujourd’hui, je le déclarerais », avait-il tout de même consenti en fin d’audience, acculé par la présidente du tribunal, Evelyne Sire-Marin.

Devant les sénateurs, le professeur Aubier avait également choqué son auditoire en estimant que le nombre de cancers liés à la pollution était « extrêmement faible ». Lors de son procès, il avait essayé de se défaire de son étiquette de « professeur Diesel ». En vain. « Je n’ai jamais minimisé les effets de la pollution sur la santé. Je n’ai jamais été un négationniste, avait-il soutenu. C’est totalement erroné. » Un jeu de mot involontaire qui avait fait sourire la salle mais pas la présidente.

« Nous attendons un verdict exemplaire »

Le jugement d’Evelyne Sire-Marin, qui doit aussi se prononcer sur la demande d’irrecevabilité des parties civiles (le Sénat, l’AP-HP et les associations Ecologie sans frontière et Générations futures) de l’avocat de Michel Aubier, est très attendu par les ONG.

« Nous attendons un verdict exemplaire, indique Nadir Saïfi, d’Ecologie sans frontière. Le réquisitoire a été extrêmement sévère mais si la peine devait en rester là, nous serions très déçus car 30 000 euros, comparés aux 400 000 euros que lui a versés Total pour atténuer son discours sur les effets du diesel, ça correspond juste à une petite prime. »

Nadir Saïfi, qui fut la cheville ouvrière de la commission d’enquête sénatoriale en tant que conseiller parlementaire de la sénatrice Leïla Aïchi, regrette qu’à l’instar du dossier de l’amiante, la justice soit jusqu’ici « forte avec les faibles et faible avec les puissances de l’argent ». Quel que soit le jugement, il exhorte le ministre de la transition écologique « Nicolas Hulot et la ministre de la santé [Agnès Buzyn] à se mettre d’accord pour que les conflits d’intérêts en matière de santé publique soient reconnus comme des circonstances aggravantes ».