Mark Cavendish disparaît dans les barrières, tandis que Peter Sagan semble lui donner un coup de coude. | JEFF PACHOUD / AFP

L’homme le plus recherché de Vittel (Vosges), mardi 4 juillet, après la quatrième étape de Tour de France, n’avait pas une tête de coureur. Le Belge Philippe Mariën a 52 ans et des lunettes sur le nez. La moitié de sa vie, il a été commissaire de l’Union cycliste internationale (UCI).

Avant de présider le jury des commissaires de la Grande boucle, il a régulé des courses juniors de cyclo-cross sous la pluie, validé des titres olympiques sur piste, infligé des milliers d’amendes en francs suisses pour « rétropoussée », « ravitaillement nuisant à l’image du cyclisme » ou « comportement incorrect en public », pour les coureurs s’arrêtant satisfaire un besoin naturel à portée des regards. C’était tranquille. Davantage, en tout cas, que ce mardi dans la station thermale vosgienne.

Sprints « houleux »

Arnaud Démare a poussé un cri d’animal sur la ligne d’arrivée. Celui d’un Français qui remporte un sprint massif du Tour, ressuscitant une pratique oubliée depuis 2006. On a coutume de qualifier de « houleux » les sprints où les coureurs frottent épaule contre épaule et déboîtent sans mettre de clignotant. Ce qui s’est passé à Vittel, ce 4 juillet, est bien plus que ça.

Dès l’entrée dans la ville, il y a des peaux arrachées et des roues bonnes à jeter – le maillot jaune le Britannique Geraint Thomas se relève indemne. Mais c’est dans les 200 derniers mètres que le chaos s’installe, toute notion de courtoisie et de prudence logiquement oubliée.

Arnaud Démare manque de faire choir son compatriote Nacer Bouhanni, dont il coupe la route en se recentrant depuis la droite. Mark Cavendish frappe les barrières, semblant, à vitesse réelle, balancé par le Slovaque Peter Sagan. Derrière, deux hommes ricochent sur Cavendish et sa machine. Démare lève les bras sur une scène d’infirmerie. Les ennuis de Philippe Mariën commencent.

Last kilometer - Stage 4 - Tour de France 2017

Les dirigeants de l’équipe de Mark Cavendish, Dimension Data, se rendent d’un pas décidé à sa rencontre, afin de demander la mise hors course de Peter Sagan. Dans un premier temps, le champion du monde n’est que relégué en fin de groupe, avec pénalité en temps et au classement par points. La formation allemande fait alors part aux commissaires de son incompréhension devant cette sanction.

« On juge les faits »

Il est 18 h 54, près de deux heures après l’arrivée. Visage sévère, Philippe Sudres, directeur de la communication d’Amaury Sport Organisation (ASO), propriétaire du Tour, conduit Philippe Mariën dans la halle de sport servant de centre de presse. Sur la piste d’athlétisme intérieure, un essaim de caméras suit les deux hommes dont l’irruption suggère une décision forte. Celle-ci est prise depuis trois quarts d’heure. Un accent belge prend le micro :

« On vient de disqualifier Peter Sagan du Tour de France 2017. Il a bien mis en danger des coureurs parmi lesquels Mark Cavendish. »

Philippe Mariën vient de prononcer l’exclusion du coureur le plus célèbre du monde de la course la plus célèbre du monde. Normal que les flashes crépitent et qu’il apparaisse un peu tendu. « Peter Sagan a commis un acte violent », justifie-t-il plus tard au Monde. « On a bien discuté avant de prendre cette décision, j’avoue que ce n’était pas facile. » Mais tout de même. Exclure Sagan ? « On ne juge pas la personne, on juge les faits. »

Insupportable pour certains, génial pour bien plus, le Slovaque est le personnage le plus médiatique du cyclisme, particulièrement populaire auprès du jeune public pour son attitude « je-m’en-foutiste » et son style spectaculaire. C’est sur lui qu’a misé le poids lourd américain du cycle, Specialized, en finançant son salaire chez Bora-Hansgrohe. Les deux sponsors allemands – de grosses entreprises comme en convoite le cyclisme – comptent quasi exclusivement sur lui pour leur communication liée au Tour.

L’exclusion est aussi lourde de sens pour l’UCI, puisque Sagan porte les couleurs arc-en-ciel de la fédération internationale en raison de son titre de champion du monde. Pour ASO, le coureur est aussi un promoteur important de l’image dynamique qu’il souhaite offrir du vélo. Dans un communiqué de presse transmis à minuit, Bora-Hansgrohe explique avoir protesté de manière officielle contre la disqualification de sa star et demande sa réintégration. Mais les décisions des commissaires ne sont interjetables que devant le Tribunal arbitral du sport. Et le Tour devait repartir de Vittel sans son quadruple maillot vert.

Une expulsion sévère

Mark Cavendish, victime d’une fracture de l’omoplate, a été contraint à l’abandon. | Christophe Ena / AP

Mark Cavendish, autre star du peloton, ne dépassera pas les Vosges non plus. Il sort le bras en écharpe du camion médical où il a subi de premiers examens, le visage fatigué mais serein de celui qui sait ce qui l’attend : un vol retour pour la maison, qui sera confirmé en fin de soirée par son équipe. Fracture de l’omoplate droite. « Immensément reconnaissant à Peter d’être venu [le] voir après l’étape », il ajoute d’une voix posée, après réflexion :

« Son mouvement sur la droite, c’est la course, mais j’étais un peu perturbé par son geste du coude. C’est quelque chose dont j’aimerais m’entretenir avec lui, personnellement. »

L’analyse des images montre que le Britannique commence à tomber avant ce geste brusque, sans doute après un contact entre son épaule et les côtes de Sagan. Certains interprètent le coup de coude du Slovaque comme un moyen de rétablir l’équilibre, après avoir été touché par Cavendish. De manière générale, coureurs et anciens coureurs jugeaient dans la soirée l’expulsion sévère, certains soulignant qu’Arnaud Démare aurait aussi pu être sanctionné. Le Picard est, à l’inverse, nouveau leader du classement par points, nanti d’une avance qui fait de lui le grand favori dans la course au maillot vert.

Philippe Mariën est nostalgique : « Aujourd’hui, c’était le moment de poser des limites. Les intérêts des coureurs sont devenus tellement grands, entre les enjeux publicitaires et financiers, qu’ils prennent des risques qui me posent question. Ça m’inquiète. » Jeudi, à Troyes, un nouveau sprint attend le Tour de France.