En 2016, à l’occasion de son 60e anniversaire, le Mouvement français pour le planning familial mettait à l’honneur trois « Simone ». Trois femmes qui ont marqué l’histoire de l’association et celle des droits des femmes : l’écrivaine et philosophe Simone de Beauvoir, la militante Simone Iff et Simone Veil, qui a porté en 1974 le projet de loi de légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Après la mort de cette dernière, le 30 juin, Véronique Séhier, la coprésidente du Planning familial, salue le combat de « celle qui a permis de reconnaître l’avortement comme un droit humain fondamental ». Mais plus de quarante ans après l’entrée en vigueur de la loi Veil, et alors qu’un tiers des Françaises ont recours au moins une fois dans leur vie à l’IVG, selon l’Institut national d’études démographiques (INED), ce droit « n’est toujours pas considéré comme un droit à part entière », souligne-t-elle.

Le Planning familial, dont vous êtes la coprésidente, considère que l’avortement n’est toujours pas accessible à toutes les femmes en France. Comment l’expliquez-vous ?

Véronique Séhier : Si la loi a été votée il y a plus de quarante ans, il reste effectivement à rendre l’IVG accessible à toutes les femmes qui désirent y avoir recours. Dans certaines régions de France, l’accès à l’IVG est très compliqué. L’IVG est le parent pauvre de l’hôpital : lors des restructurations d’hôpitaux, les services IVG sont en général les plus fragiles et les plus susceptibles de disparaître. On a évalué qu’en 2015, 130 centres d’IVG ont fermé. Les structures de proximité disparaissent à grande vitesse alors que c’est ce dont nous avons le plus besoin. Une femme ne devrait pas avoir à faire 60 km pour avorter.

Les médecins eux-mêmes peuvent empêcher les femmes d’avoir accès à l’avortement. Certains d’entre eux, opposés à l’IVG, multiplient les rendez-vous et examens avec les femmes souhaitant avorter pour retarder l’acte médical et placer leurs patientes hors délai. On ne parle pas ici de la majorité des médecins, mais ce genre de situation existe encore en France aujourd’hui.

Les recommandations relatives aux méthodes d’avortement formulées par la Haute Autorité de santé sont-elles respectées par les structures pratiquant l’IVG ?

Pas vraiment. La Haute Autorité de santé recommande l’utilisation d’avortements médicamenteux jusqu’à la 8e semaine de grossesse. Au-delà de cette limite, cette technique d’avortement devient très douloureuse.

D’un point de vue technique, l’IVG médicamenteuse est plus simple que celle par aspiration, avec opération chirurgicale. Elle peut être réalisée par des sages-femmes, au contraire de la seconde méthode, et ne nécessite donc pas la présence d’un médecin. Pour cette raison, certains services utilisent cette option jusqu’à la 12e semaine de grossesse, à la fin du délai légal pour avorter en France.

Le problème pourrait être évité si l’apprentissage de l’IVG chirurgicale était présent dans toutes les formations médicales, de façon à ce que plus de professionnels de la santé puissent la pratiquer.

Y a t-il encore des points à modifier concernant le texte de loi en lui-même ?

En quarante ans, la législation entourant l’avortement a beaucoup évolué. En 1993, le délit d’entrave à l’IVG est instauré, et étendu au numérique en 2016. En 2001, le délai légal pour avorter est allongé et les mineurs peuvent y avoir accès sans autorisation parentale. En 2014, la « notion de détresse » est supprimée. Depuis 2016, tous les actes liés à l’intervention, y compris les échographies sont remboursés par la Sécurité sociale. Beaucoup de progrès sont donc à noter, mais certaines modifications doivent encore être effectuées.

Il me semble important de supprimer la « double clause de conscience » présente dans la loi française. Le droit à refuser d’effectuer un acte médical en raison de convictions personnelles ou professionnelles est opposable à tout acte médical et garanti par le code de la santé publique. Or dans la loi Veil, il existe une clause de conscience spécifique à l’IVG. Si ce point était présent dans le projet de loi initial, c’était dans une logique de compromis, pour faire adopter le projet de Simone Veil.

Mais aujourd’hui, cette redite refuse à l’avortement son statut de droit à part entière. Pourtant, on a démontré que l’avortement est un acte courant, qui concerne une femme sur trois.

Préconisez-vous un allongement du délai légal pour avorter ?

En France, le délai pour avorter est de douze semaines de grossesse. Aux Pays-Bas, la limite est fixée à 22 semaines, et à 24 semaines en Angleterre… Certaines femmes découvrent qu’elles sont enceintes plus tardivement que d’autres. La présence de saignements, considérés comme des menstruations, peut en être la raison. Le délai doit être allongé en France, pour éviter aux femmes dans ce genre de situation d’aller avorter chez nos voisins.