Dans  son livre « Le Fil de Lumière » , Sophie Pétronine écrivait : « Les enfants sont innocents, ils ont le droit de grandir et de se construire pour devenir des hommes et des femmes capables de s’intégrer dans une société qui n’est pas facile à vivre. »

Elle s’appelle Sophie Pétronin, elle aura bientôt 72 ans et elle est la seule otage française dans le monde. Elle a été enlevée par des hommes armés en 2016, à la veille de Noël, dans le nord du Mali où elle dirigeait l’Association d’aide à Gao (AAG), une petite ONG franco-suisse qui vient en aide aux orphelins.

Personne n’a revendiqué le kidnapping et personne ou presque n’a entendu parler d’elle. Pas de portrait géant affiché ici ou là, pas de rassemblement. Son comité de soutien se réduit à quatre personnes : son fils et ses deux cousins, son mari. Quatre membres de sa famille qui se mobilisent, entreprennent des démarches auprès des autorités françaises, vont au Mali, avec plus ou moins de succès, raconte son fils Sébastien Pétronin, au sortir d’une réunion au Quai d’Orsay. « Pendant un moment, il n’y avait plus d’otage français dans le monde », rappelle-t-il, et puis voilà.

Aucune revendication pendant six mois

Entre le 24 décembre 2016 et le 1er juillet, Sophie Pétronin a tout simplement disparu de la circulation. Jusqu’à samedi : ce jour-là, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), une alliance formée en mars 2017 par plusieurs mouvements islamistes armés du Mali, dont Ansar Dine, Al Mourabitoune et l’Emirat du Sahara, une émanation d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) a diffusé une vidéo dans laquelle apparaît Sophie Pétronin, aux côtés de cinq autres otages occidentaux.

A la fin du message, un homme assure aux familles qu’« aucune véritable négociation n’a commencé » pour leur libération, tout en affirmant que des discussions sont « toujours actives ». Concernant l’otage française, il dit qu’elle espère que le président français, Emmanuel Macron, aidera à son retour auprès de sa famille.

Accusée de « prosélytisme religieux »

Pour justifier l’enlèvement, les ravisseurs de Sophie Pétronin l’accusent de « prosélytisme religieux », tout comme la Suissesse Béatrice Stockly, une missionnaire enlevée en janvier 2016 par des hommes armés à son domicile de Tombouctou et la religieuse catholique colombienne, sœur Gloria Cecilia Narvaez Argoti, enlevée en février, dans le sud du Mali. Son fils Sébastien relativise : « Elle est croyante. Mais elle n’a jamais essayé de convertir qui que ce soit. Elle dit autant que dieu vous bénisse que inch allah ».

Au surlendemain de l’enlèvement de Sophie Pétronin, son mari Jean-Pierre Pétronin s’interrogeait : « C’est quand même dingue d’en arriver là, après tout ce qu’elle a fait ces dernières années à Gao pour les enfants de 0 à 4 ans. » Ses propos faisaient écho à ceux de Seydou Traoré, le gouverneur de Gao, qui a raconté sur RFI : « Après les événements de 2012 [l’offensive salafiste], elle était rentrée [en France] et ensuite revenue. Elle a repris ses activités. Elle ne se cache pas, elle est assimilée à la population de Gao. »

« Une vie sauvée est une vie qui vit »

De fait, depuis près de vingt ans à la tête de l’Association d’aide à Gao (AAG), Sophie Pétronin arpente la région de Gao, vient en aide aux orphelins qui ne peuvent être recueillis par des membres de leur famille et aux démunis, aux enfants souffrant de malnutrition. « Elle a eu un déclic pour aider ces populations en y allant avec une amie » en 1996, précise Sébastien Pétronin. Elle y revient trois ou quatre fois, avant de décider de s’y installer, définitivement en 2001.

Depuis près de vingt ans à la tête d’une ONG venant en aide aux orphelins, Sophie Pétronin arpentait la région de Gao. | PASCAL GUYOT / AFP

Au fil des années, elle a appris à communiquer avec ses différents interlocuteurs : « Elle comprend quand on lui parle et sait se faire comprendre », rappelle Sébastien Pétronin. Sur place, on l’appelle Sophie, poursuit son fils, qui ajoute qu’elle a fini par adopter une fille aujourd’hui âgée d’une quinzaine d’années.

Laborantine de formation, elle a entrepris une formation médicale et s’est spécialisée dans les questions de malnutrition et la médecine tropicale. « Elle s’est intéressée à la lutte contre la maladie du ver de Guinée (dracunculose) », précise-t-il.

Dans Le Fil de Lumière, un livre qu’elle a écrit en 2013, elle écrivait ce qui l’animait, les raisons de son installation dans la région : « Ce que je vais faire dans votre océan de misères n’est pas grand-chose mais une vie sauvée est une vie qui vit. Les enfants sont innocents, ils ont le droit de grandir et de se construire pour devenir des hommes et des femmes capables de s’intégrer dans une société qui n’est pas facile à vivre. »

L’alerte de 2012

Comme les autres ONG, l’Association d’aide à Gao subit la déferlante qui fait basculer le Mali dans l’instabilité. Au printemps 2012, Sophie Pétronin échappe une première fois aux djihadistes. Les rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad, assistés par les groupes islamistes AQMI et Ansar Dine, profitent du coup d’Etat du capitaine Amadou Sanogo contre le président Amadou Toumani Touré pour débouler à Kidal, Tombouctou ou Gao.

Le 5 avril 2012, alors que le drapeau noir des salafistes flotte sur Gao, Sophie Pétronin se réfugie au consulat d’Algérie, sous la protection du consul et assiste à l’enlèvement des diplomates algériens par des salafistes d’Ansar Dine. Elle parvient à fuir, trouve refuge dans une famille dont elle a déjà soigné un enfant. Elle est finalement conduite par des membres du MNLA à travers le désert vers la frontière algérienne et, de là, transportée en avion vers Alger pour être remise à l’ambassade de France. « Elle n’a pas perdu son sang froid, ça s’est passé… inch allah” », concède son fils.

Elle passe quelques semaines en France, en Ardèche, dans sa famille. Mais l’appel du Mali et sa mission sont plus forts que les appels à la sécurité. « Je ne suis pas d’accord pour qu’elle se mette en danger. Mais je lui accorde que les enfants dont elle s’occupe ont droit à un avenir. Sa cause est justifiée et noble. Ce qui me déplaît en tant que fils m’éblouit en tant qu’homme. »

Sur le site de l’association, les rapports écrits par Sophie Pétronin témoignent qu’elle a conscience des risques : « La grande difficulté se situe au niveau du personnel qui n’est pas stable. Nous sommes victimes de la concurrence salariale des ONGI qui offrent des salaires mirobolants alors que nos employés sont soumis au tarif malien en vigueur. Le risque d’attentat et d’enlèvement visant les occidentaux est toujours très élevé dans tout le Mali. Nous devons redoubler de prudence. » Elle finit par prendre des dispositions, en cas d’enlèvement : « Elle a donné des consignes, pour passer le relais », assure son fils, sans vouloir les détailler.

Cinq autres otages

Sophie Pétronin est retenue avec cinq autres otages. Outre la missionnaire suisse et la religieuse colombienne, les djihadistes retiennent l’Australien Arthur Kenneth Elliott, âgé de 82 ans, le Sud-Africain Stephen McGown, enlevé par Al-Qaida dans le nord du Mali en novembre 2011, le Roumain Iulian Ghergut, enlevé en avril 2015 au Burkina Faso. « Nos pensées vont à tous ces otages, surtout à Arthur Kenneth Elliott », ajoute son fils.

Après la diffusion de revendication de l’enlèvement que d’aucuns interprètent comme un appel à négocier, Sébastien Pétronin garde l’espoir d’une libération de sa mère et mise sur une action des autorités françaises : « La cellule de crise au Quai d’Orsay est efficace, bienveillante, elle remplit bien son rôle. Il y a des gens qui œuvrent dans l’ombre à sa libération : des Français, mais aussi des Maliens, la famille tient à les en remercier. »

Le fils est bien conscient qu’il sera difficile pour sa mère de retourner à Gao quand elle sera libérée. « Peut-être qu’elle pourra piloter les activités depuis Bamako », espère-t-il, tout en reconnaissant qu’il ne peut lui dicter sa conduite.