Après plus de trois ans de combats meurtriers, le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l’est libyen, a annoncé mercredi 5 juillet au soir la « libération totale » de la ville de Benghazi des djihadistes. Dans son discours diffusé à la télévision, le maréchal Haftar a rendu hommage « aux caravanes de martyrs » tués dans les combats contre les djihadistes, ajoutant que Benghazi entrait aujourd’hui « dans une nouvelle ère de paix, de sécurité, de réconciliation (…) et de reconstruction ».

Les forces loyales à Haftar avaient annoncé plus tôt dans la journée une importante percée dans les derniers bastions des djihadistes à Benghazi. L’armée nationale libyenne (ANL) auto-proclamée, par Haftar, avait ainsi annoncé la fin des opérations militaires dans le quartier de Soug al-Hout, ajoutant avoir avancé dans le quartier central d’al-Sabri, selon le général Abdessalam al-Hassi, chef de la cellule des opérations. Il avait précisé à l’Agence France Presse que les derniers djihadistes étaient cernés dans un petit périmètre du quartier d’al-Sabri et faisaient l’objet d’attaques sur trois fronts, sous une couverture des forces aériennes.

Soutenu par l’Egypte et les Emirats arabes unis

Même si elle ne fait que consacrer symboliquement un contrôle territorial déjà acquis, cette « libération totale » annoncée par Haftar va renforcer la main du maréchal à l’égard du pouvoir rival incarné par Faïez Sarraj, le chef du gouvernement d’« union nationale » installé à Tripoli (ouest) avec le soutien de la communauté internationale. De sa place forte de la Cyrénaïque (Libye orientale), le maréchal Haftar avait fait obstacle à la mise en place des institutions prévues par l’accord signé à Skhirat (Maroc) sous l’égide des Nations unies. A ses yeux, l’accord de Skhirat comportait le vice originel de planifier son éviction de la tête de l’ANL.

Depuis l’arrivée de M. Sarraj à Tripoli fin mars 2016, l’homme fort de la Cyrénaïque a exercé les pressions nécessaires pour que le Parlement refuse l’investiture du gouvernement d’« union nationale », affaiblissant de facto ce dernier. Simultanément, le maréchal Haftar a avancé ses pions militaires, conquérant à l’automne 2016 le Croissant pétrolier, poumon économique de la Libye, et réalisant des percées plus au sud dans les zones d’Al Juffrah et de Sabha. Ces avancées ont été permises par un soutien actif prodigué par l’Egypte, qui l’a souvent appuyé par des frappes aériennes, et les Emirats arabes unis.

Aux yeux de ses soutiens extérieurs, Haftar incarne un pôle anti-islamiste affaiblissant en Libye la galaxie de l’islam politique – allant des Frères musulmans aux djihadistes radicaux – qui s’était imposée à la faveur du renversement en 2011 du régime de Mouammar Kadhafi. Ses connexions avec certains réseaux salafistes dits « madkhalistes » – salafistes « quiétistes » se réclamant de l’école du théologien saoudien Rabia Ben Hadi Al-Madkhali, qui prêche la loyauté aux régimes en place – sont toutefois jugées avec inquiétude par certains Libyens de sensibilité libérale.

Quid de l’attitude des groupes les plus hostiles à Haftar ?

En outre, ses penchants militaristes, illustrés par le remplacement des maires démocratiquement élus par des officiers de l’armée dans les régions qu’il contrôle, renforcent le scepticisme, voir l’hostilité à son égard, des Libyens attachés aux idéaux de la révolution de 2011.

Malgré ces multiples réserves, la popularité de Haftar est réelle en Cyrénaïque, et à Benghazi en particulier. La grande cité de l’est a particulièrement souffert du déchaînement de violence à partir des années 2012-2013 orchestré par des noyaux djihadistes assassinant systématiquement militaires, policiers, intellectuels, militants de la société civiles, etc.

Au lendemain de cette « libération » proclamée, la grande inconnue réside désormais dans l’attitude des groupes les plus hostiles à Haftar, notamment en Tripolitaine (ouest). Ces derniers se concentrent surtout autour de la cité marchande de Misrata. Si le gouvernement d’« union nationale » de Sarraj basé à Tripoli devait être tenté de composer avec un Haftar en pleine ascension, il ne fait guère de doute aux yeux des observateurs que les « durs » de Misrata se retourneraient contre Sarraj, ouvrant une fracture au cœur même de la Tripolitaine. Les répliques sismiques de la « libération » de Benghazi vont reconfigurer sans tarder les lignes politico-militaires en Libye.