« I love you girl, I wanna get down », chante Manon à tue-tête. « Girl, I wanna get down down down down… » Sa mère à côté d’elle secoue la tête, un sourire résigné sur le visage : « Ces groupes coréens, toutes les gamines connaissent ! » Devant un écran de télévision pas bien grand, elles sont une trentaine à se déhancher au rythme du tube Fxxk It, du boys-band de K-pop sud-coréen BigBang. Devant, une dizaine d’entre elles connaît même les chorégraphies par cœur.

BIGBANG - ‘에라 모르겠다(FXXK IT)’ M/V Images : YOUTUBE

Car à la 18e édition de la Japan Expo – la plus grande convention française sur la culture japonaise, qui se déroule du jeudi 6 au dimanche 9 juillet à Villepinte, en Seine-Saint-Denis – un certain nombre de visiteurs ne viennent pas que pour la culture nippone. Au milieu des éditeurs de mangas et les vendeurs de t-shirt Pokémon, se trouve même une allée dédiée à la K-pop coréenne.

Les fans de BTS, Shinee, Twice ou encore Red Velvet se sont trouvés au milieu des 250 000 visiteurs attendus à la convention. Entre les cosplays de licornes, de pikachus, de ninjas et de guerriers en armures illuminées, difficile pour celui qui n’a pas l’œil de les repérer dans la foule. Certains ont « Infinite » imprimé sur leur t-shirt noir, du nom d’un boys band à la mode. Une jeune fille porte un discret sac à dos estampillé « Black Pink », le logo d’un girls band. Un clin d’œil qui n’attire que les initiés dans une convention déjà réservée à une niche.

« En tant que garçon, c’est dur à assumer »

Les écrans diffusant de la K-pop attirent des grappes de fans. | Ophélie Surcouf / Le Monde

Ils sont des dizaines, rassemblés devant deux écrans de télévision qui diffusent les clips de leurs groupes favoris. Justine est ravie : « J’adore le Japon, mais je suis là principalement pour la Corée et parler avec d’autres fans de K-pop. Quand ils passent les clips, on rencontre plein de gens ! » Entre deux chorégraphies, elle a d’ailleurs rejoint un petit groupe pour faire le tour du reste de la Japan Expo.

Le paradis pour Nicolas qui, à 16 ans, n’a jamais avoué à sa famille ni à ses amis qu’il adorait écouter la musique coréenne. « Chez moi, je n’écoute pas fort ou avec un casque. En tant que garçon, c’est dur à assumer… » Lorsqu’un ami l’invite à la Japan Expo, il saute sur l’occasion. Nicolas se souvient qu’il a vu un peu de produits dérivés de K-pop à la convention Paris Manga, en mars : « Ici c’est plus gros, alors j’espérais qu’il y a en aurait plus. »

En Corée du Sud, les chaussettes mignonnes font rage. | Ophélie Surcouf / Le Monde

Culture de consommation

On en trouve des centaines sur les différents étalages : calendriers, tasses, t-shirts, masques, chaussettes, éventails, posters et autre babioles sont exposés chez Musica et Tai You – spécialisés dans la vente de musique et de goodies coréens –, mais aussi en face chez le chinois Icon Time par exemple ou plus loin sur le stand du site espagnol Konechi.com.

Léa est d’ailleurs en train de regarder des posters de BTS lorsque son amie Soizic débarque, dépitée : « 38 euros le CD de GD [G-Dragon] ! C’est trop cher ! » Léa secoue la tête : « Moi, je l’aurais acheté. » « Ce n’est même pas un CD, c’est une clé USB ! Il y a cinq chansons et des photos », rétorque Soizic. « Mais c’est une très belle clé USB », ajoute-t-elle, frustrée.

En face des posters, Angelique, Florine et Léa ont fait le voyage depuis Limoges pour acheter les morceaux de leurs stars préférées : « On est venues avec une valise, on va repartir avec trois ! s’exclame Angelique. Venir ici, ça nous coûte moins cher que de commander. »

Angelique, Florine et Léa choisissent des posters de BTS. | Ophélie Surcouf / Le Monde

Rien d’étonnant à cette déferlante de produits dérivés pour Pierre André Grasseler. Le responsable de la radio Japan FM constate :

« La Corée a trouvé la formule pop. On le voit bien dès qu’il s’agit de remplir des salles : en France, un groupe coréen un peu connu remplit une grande salle sans problème. Un groupe japonais va avoir du mal avec une salle de 800 places. »

Un phénomène récemment marqué par le premier concert français de G-Dragon (du groupe BigBang) à l’AccorHotel Arena (Bercy) en septembre 2016 pour lequel les internautes se sont arraché les places. La vague coréenne, la « hallyu », gagne d’ailleurs de plus en plus le Japon. A Tokyo, sur le célèbre carrefour de Shibuya, les immenses affiches de Shinee et Twice ont remplacé les groupes de J-pop, la pop japonaise, sur les buildings. Dans les magasins de CD, ce sont les chansons de BTS qu’entendent les clients dans les allées.

A la Japan Expo, c’est le même refrain. « C’est les BTS ! », s’exclame une voix dans l’attroupement en pointant l’écran. « Je meurs ! », s’écrie une autre. Avant de reprendre le « FIREEE » du groupe en chœur. Amel en plaisante : « Et dire que je me moquais des gens qui aimaient Justin Bieber et One Direction. Maintenant, je ne suis pas mieux qu’eux ! »

Entre « One Piece » et « Tokyo Ghoul », le logo de groupes de K-pop. | Ophélie Surcouf / Le Monde

« La culture coréenne a des choses à dire »

Toutefois, ceux venus à la Japan Expo exclusivement pour la K-pop sont peu nombreux. Cela n’a rien d’étonnant, car la plupart a découvert la culture coréenne à travers la culture japonaise. Laura raconte que son premier amour était les animés. C’est par hasard qu’elle tombe en ligne sur le « drama » (la série) japonais adaptée du manga Hana Yori Dango. « J’ai adoré ! Puis j’ai trouvé Boys over Flowers, l’adaptation coréenne. Ensuite… »

Marly et Neris ont dessiné le nom de chanteurs de leur groupe préféré sur le visage. | Ophélie Surcouf / Le Monde

La plupart des visiteurs n’ont même aucune idée de ce dont il s’agit, car la passion de la Corée du Sud reste très anecdotique sur la convention. Mais elle semble rapporter beaucoup aux vendeurs. C’est pour cela qu’Icon Time a laissé tomber les accessoires de cosplay (imitation de personnages de mangas) pour vendre des pulls estampillés des logos de groupes de K-pop : « Ça rapporte plus et il y a moins de concurrence », affirme Hua, le responsable du magasin. Quant à Konechi.com, la manager Paula ne marque aucune hésitation : « Nous faisons aussi des conventions en Suisse, en Allemagne ou en Suède, mais c’est en France qu’on en vend le plus. »

Sur le stand de Delitoon, qui promeut les webtoons – ces bandes dessinées qui se lisent sur tous les écrans, inspirées des « manwhas » coréens –, Didier Borg, le fondateur, raconte :

« Les gens ne font pas encore la différence entre toutes les cultures asiatiques. Ils viennent nous voir parce qu’il y a quelque chose à lire et parlent de “manga”. Ce n’est pas la peine d’avoir un débat d’experts, de corriger et d’expliquer qu’il s’agit en réalité de “manwha”, ce qui compte c’est de partager. »

Le mélange porte toutefois à confusion, surtout pour Thomas Sirdey, le co-fondateur de la Japan Expo : « La culture coréenne a des choses à dire, mais elle est très différente de la culture japonaise. Il faudrait qu’elle ait son propre événement ! »