Il a pris possession de l’hôtel de Lassay. François de Rugy a été élu président de l’Assemblée nationale, le 27 juin. Une promotion accélérée pour l’ancien membre d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), qui a participé à la primaire de la gauche, avant de rallier Emmanuel Macron. A 43 ans, il devient le quatrième personnage de l’Etat.

Vous avez annoncé vouloir réformer l’Assemblée. Quelle est votre feuille de route ?

J’ai été élu pour présider l’Assemblée nationale et pour la réformer. Je vois trois niveaux de réformes à mener : celles qui viennent de l’Assemblée elle-même, celles qui ont trait à son règlement et celles qui nécessitent des modifications constitutionnelles.

En ce qui concerne l’Assemblée, cela touche à la transparence : il est nécessaire que les députés puissent justifier l’utilisation de leurs indemnités représentatives de frais de mandat, avec une traçabilité des dépenses. Il faut à la fois des règles claires, et un contrôle de leur respect. Sur ce dernier point, on peut envisager qu’il y ait tous les ans des députés tirés au sort, qui soient soumis à un contrôle du déontologue.

Cela concerne aussi le régime de retraite des députés – qui doit être aligné sur le mode de calcul du régime général – et les allocations-chômage en cas de perte d’un mandat. Sur ces trois sujets, c’est le bureau de l’Assemblée qui prendra des décisions et non la loi. Je souhaite qu’il se prononce dans les prochaines semaines, dans le même temps que le projet de loi sur la moralisation de la vie politique.

Comment la procédure parlementaire va-t-elle être modifiée ?

La procédure actuelle offre une prime à l’obstruction. On conçoit trop souvent le rôle du député ou du sénateur comme quelqu’un qui aurait le principal pouvoir de retarder l’adoption d’un texte, en rallongeant les débats avec une multitude d’amendements, parfois quasi identiques, que l’on va défendre pendant des heures alors qu’on sait très bien qu’ils n’ont aucune chance d’être adoptés.

La question se pose aussi du nombre de navettes. En rythme normal, il y a six lectures d’un texte à l’Assemblée et six au Sénat – avec trois lectures en commission et trois en séances pour chaque chambre – ce qui fait douze lectures en tout ! Au total, avec la mise en œuvre des décrets d’application, une loi met deux ans à être mise en œuvre. Cela pose un problème démocratique.

En avez-vous discuté avec votre homologue du Sénat ?

Je vais le faire. Aucune chambre ne peut tirer sa légitimité de sa capacité d’obstruction. Le Sénat peut contribuer de manière constructive à la loi.

Est-il envisageable que certaines lois soient votées en commission, comme l’a évoqué Emmanuel Macron ?

C’est une possibilité. Certains textes budgétaires sont déjà adoptés en commission avant d’être votés en séance. C’est à mettre sur la table.

Le chef de l’Etat veut renforcer la fonction de contrôle des députés. Comment comptez-vous faire pour que ces derniers se saisissent véritablement des outils dont ils disposent ?

Le président a dit, avant même d’être élu, qu’il voulait désengorger l’ordre du jour parlementaire et donner plus de place à l’évaluation et au contrôle. Il faut que l’on se donne un peu plus de moyens et donner plus de pouvoirs aux députés, comme aux sénateurs, dans leur capacité de contrôle. C’est-à-dire donner aux missions d’information quasiment les mêmes pouvoirs que les commissions d’enquête.

Il faut aussi organiser l’exploitation de cette matière première que constituent les rapports. Je propose qu’ils soient systématiquement accompagnés de préconisations législatives, réglementaires et fiscales que les commissions et les ministères seraient obligés de prendre en compte.

On peut aussi envisager que les députés, à titre individuel, aient davantage de pouvoir d’investigation, notamment sur le territoire de leur circonscription. Aujourd’hui, les députés ont le droit de visiter les prisons, ainsi que tous les lieux de privation de liberté. Bizarrement, ce droit n’existe pas pour le reste des administrations de l’Etat. Je souhaiterais qu’il soit généralisé pour évaluer, par exemple, l’état des établissements scolaires, des établissements hospitaliers, les conditions de travail…

Comment et à quelle hauteur la proportionnelle va-t-elle être introduite pour l’élection des députés ?

La baisse du nombre de députés est un changement majeur. Il n’est pas courant
qu’une Assemblée comptant un grand nombre de députés nouveaux, avec un groupe largement majoritaire, décide de réduire fortement la taille de ses effectifs. Mais on a été élu pour le faire, on va le faire.

Cela implique mécaniquement une refonte des circonscriptions. Parmi les solutions possibles, il y a le regroupement des circonscriptions par deux et d’avoir en complément une centaine de députés élus à la proportionnelle. Dans cette hypothèse, les Français auraient deux voix aux élections législatives : une voix pour leur député de circonscription, pour garder ce lien territorial, et une voix pour les listes proposées à la proportionnelle.

La droite pointe le risque d’avoir deux sortes de députés…

Les sénateurs ne sont déjà pas tous élus de la même façon. La majorité d’entre-eux sont élus à la proportionnelle et cela ne choque personne. Logiquement, ce devrait être un sujet qui pourrait rassembler une majorité plus large que La République en marche (LRM) et le MoDem puisque ce sont des revendications portées par d’autres groupes. Maintenant, la campagne électorale est terminée, même si j’ai l’impression que certains veulent la continuer…

En même temps, il est compliqué pour des députés de se faire hara-kiri en votant eux-mêmes la baisse de leur nombre…

C’est pour cela qu’il faut le faire en début de mandat. Parce qu’on sait très bien qu’il faut profiter de cet élan de changement pour engager rapidement des réformes.

Les réformes institutionnelles, contrairement à ce que disent certains commentateurs, ce n’est surtout pas celles qu’il faut remettre à plus tard. Si on les reporte, on ne les fera pas. Or, si on y arrive, cela sera salué par les Français. Par ailleurs, et j’y veillerai personnellement, la limitation des mandats dans le temps doit s’appliquer aux députés, aux sénateurs et aux élus locaux.

A combien de mandats ?

Trois. Cela a été dit avant les élections. Je me l’appliquerai à moi-même quoi qu’il arrive. C’est mon troisième et dernier mandat.

Le groupe Les Républicains a décidé de ne pas participer au bureau de l’Assemblée après l’élection d’un membre du groupe des « constructifs » au poste de questeur qu’ils briguaient. Comment sortir de cette impasse ?

Cet épisode est regrettable. Le groupe LR a toute sa place au bureau. Il leur a été proposé d’avoir trois postes de vice-président, ce qui est important. Eux sont très attachés au poste de questeur et, pour le moment, font la politique de la chaise vide.

Nous avons une situation nouvelle à laquelle tout le monde ne s’est pas encore adapté : d’un côté, une majorité et de l’autre, des oppositions diverses et éclatées. Je souhaite que les groupes d’opposition soient respectés dans leurs droits et dans leur poids électoral et numérique. Si certaines dispositions du règlement de l’Assemblée nationale doivent être adaptées pour garantir ces principes, on le fera.

Comptez-vous lâcher votre fonction de président de l’Assemblée à mi-mandat, alors que vous êtes élu, comme le précise la Constitution, pour la durée de la législature ?

Dans deux ans et demi, je remettrai mon mandat en jeu. Nous avons pris un engagement individuel et collectif, au sein du groupe LRM, de remettre notre mandat à disposition du groupe à mi-législature. Nous voulons qu’il y ait du renouvellement.

Vous êtes passés des Verts à la majorité socialiste, avant de rejoindre LRM après avoir été candidat à la primaire de la gauche, en vous engageant à en soutenir le vainqueur. Vous vous êtes ainsi taillé une réputation d’opportuniste...

Comme tous les députés, j’ai la légitimité du suffrage. Si j’ai été élu trois fois député, c’est parce que, par trois fois, les électeurs m’ont accordé majoritairement leur confiance. Lors du dernier scrutin, dans ma circonscription, j’ai obtenu une majorité plus large encore qu’aux élections précédentes.

Que chacun regarde devant sa porte. Le mouvement En marche ! a à peine plus d’un an d’existence ; par définition, ses membres n’y appartenaient pas il y a un an. Ce qui nous rassemble, c’est d’avoir un projet commun. Ailleurs, j’ai l’impression que c’est surtout d’avoir un passé commun.

L’opposition craint que vous ne soyez un président au service de la majorité...

Je me tiendrai à bonne distance, en n’étant pas aux premières loges dans les débats internes de mon mouvement politique. Je m’engage à être un président de l’Assemblée nationale qui travaillera avec tous les groupes, qui veillera à ce que l’opposition soit respectée et puisse faire des propositions pour conduire les changements à venir.

Europe Ecologie-Les Verts, dont vous êtes issu, n’est plus représenté à l’Assemblée nationale. Entendez-vous reconstituer une sensibilité écologiste au sein de LRM ?

Je ne vais pas me consacrer à construire une tendance, j’ai suffisamment vu les ravages que peuvent produire les courants au sein de partis politiques. En revanche, j’ai des convictions écologistes fortes, je les ai toujours et j’entends que l’Assemblée nationale, dans son mode de fonctionnement, soit plus en phase avec les principes du développement durable, qu’on l’« écologise ».

Comment vous définissez-vous ? Ecologiste ? Progressiste ? Macroniste ?

Réformateur. Si vous regardez mon parcours politique, j’ai toujours été porté par l’idée que l’on pouvait changer les choses par l’action politique et institutionnelle, que c’est en se plaçant au coeur des institutions qu’on peut changer les choses, pas en étant à la marge, dans la protestation, dans l’opposition systématique. C’est une constante dans mes choix. Réformer l’Assemblée nationale, c’est une idée que je porte depuis longtemps. Je ne l’ai pas découverte en accédant à cette responsabilité.

Comment allez-vous gérer la présence de fortes personnalités dans l’Hémicycle ?

L’Assemblée donne beaucoup de possibilités aux députés, même minoritaires, de s’exprimer. Je souhaite que l’on renforce cette capacité à avoir des débats autour de propositions, y compris des propositions de loi. C’est l’intérêt de tous de montrer qu’on est capables de débattre et d’avoir des opinions très différentes.

En revanche, s’opposer dans le chahut, l’invective, c’est du mauvais théâtre. C’est une caricature qui ne correspond pas à la réalité du travail législatif.

Les députés de La France insoumise se sont démarqués en venant sans cravate. Jugez-vous cela convenable ?

Franchement, l’Assemblée nationale a d’autres sujets de débat. J’ai bien perçu la volonté d’en faire un symbole politique, mais je note que c’est vite retombé. Nous en avons parlé en conférence des présidents. Pour l’instant, j’ai accepté l’idée que l’on pouvait faire évoluer les obligations imposées aux députés.