Des forces loyales à Khalifa Haftar, le 6 juillet à Benghazi. | ABDULLAH DOMA / AFP

Le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de la Cyrénaïque (est), s’impose plus que jamais comme une figure incontournable de la scène politico-militaire libyenne. Mercredi, 5 juillet, il a proclamé la « libération totale » de la ville de Benghazi, où ses troupes de l’Armée nationale libyenne (ANL) combattaient des groupes « révolutionnaires » – composés de djihadistes, mais pas exclusivement – retranchés dans quelques bastions résiduels.

Cette bataille de Benghazi avait commencé au printemps 2014, lorsque Khalifa Haftar, ancien proche de Mouammar Kadhafi devenu dissident en exil aux Etats-Unis, avant de prêter son concours à la révolution de 2011, avait déclenché l’offensive baptisée « Karama » (« dignité ») contre des groupes islamistes radicaux qui s’étaient livrés à une campagne d’assassinats dans la métropole de l’Est libyen. Trois ans plus tard, le hiérarque militaire, nommé depuis maréchal par l’Assemblée repliée à Tobrouk, émerge comme un vainqueur incontestable, mais au prix de destructions et de victimes civiles dénoncées comme des « crimes de guerre » par ses adversaires.

L’ascension de Haftar aiguise le dilemme diplomatique auquel sont confrontées les chancelleries occidentales. En témoignent les controverses qui ont éclaté dès le lendemain de l’annonce de la « libération » de Benghazi. La mission des Nations unies pour la Libye et l’ambassadeur britannique en Libye, Peter Millett, ont salué dans un langage quasi identique la « libération » de Benghazi comme « l’espoir » d’une première étape vers « la paix ». La formule a été peu appréciée par les adversaires du maréchal Haftar, surtout concentrés à Tripoli et Misrata (ouest). Abderrahmane Souihli, figure politique de Misrata et président du Conseil d’Etat, une institution associée au gouvernement d’« union nationale » siégeant à Tripoli, a dénoncé le commentaire de M. Millett comme un « feu vert » donné au « voyou » Haftar pour « attaquer » Tripoli.

Irritation

Cette réaction est symptomatique de l’irritation qui saisit les milieux hostiles au maréchal devant les inflexions en cours chez les diplomates occidentaux. Après avoir snobé Haftar, voire œuvré à son éviction du commandement de l’ANL, ces derniers ont pris acte de ses percées militaires depuis un an – à Benghazi et dans le Croissant pétrolier notamment – et opté pour le réintégrer dans une solution politique de la crise libyenne. Ce changement de pied est surtout mal perçu à Misrata, siège de la principale force militaire en Tripolitaine, où se recrutent les opposants les plus irréductibles au maréchal.

Le « réalisme » affiché par les Occidentaux, où les impératifs de la lutte antiterroriste ont toute leur place, comporte toutefois le risque de fragiliser l’accord de Skhirat (Maroc) – signé en décembre 2015 – dont est issu le gouvernement d’« union nationale » de Faïez Sarraj. Le maréchal Haftar n’a en effet cessé de faire obstruction à la mise en place de ce nouveau dispositif institutionnel censé incarner la réconciliation nationale. Si les deux hommes se sont rencontrés début mai à Abou Dhabi (Emirats arabes unis), ils ont pour l’instant échoué à s’entendre sur un scénario de sortie de crise. Encouragé par ses avancées militaires, le maréchal Haftar peine à admettre formellement qu’il subordonnerait son autorité militaire à un pouvoir civil. Il est encouragé dans son inflexibilité par le soutien – diplomatique, militaire et financier – qu’il reçoit de l’Egypte et des Emirats arabes unis. Fort de sa trajectoire ascendante, il a maintes fois annoncé qu’il se préparait à « libérer » Tripoli. Les répliques sismiques de la « libération de Benghazi » pourraient affecter ces prochaines semaines la capitale libyenne.