Benoît Cœuré, membre du directoire  de la Banque centrale européenne, à Riga. | ILMARS ZNOTINS / AFP

Le sevrage sera douloureux. Les marchés, comme les Etats, vivent depuis si longtemps sous perfusion monétaire que certains espéraient secrètement qu’elle ne serait jamais retirée. Ils vont devoir se faire une raison. Car, depuis quelques semaines, les banquiers centraux multiplient les signaux dans la zone euro et aux Etats-Unis : ils sont sur le point d’organiser prudemment le retrait de leurs mesures exceptionnelles d’aide à l’économie. Celles qui, depuis la crise, ont permis d’abaisser le coût du crédit et de soutenir l’activité, tout en éloignant la menace déflationniste.

Ces prochains mois, la Réserve fédérale (Fed) va ainsi réduire le volume des dettes et titres financiers achetés pendant la crise pour soulager le secteur financier, et qu’elle a conservés depuis. Jeudi 6 juillet, la publication du compte-rendu de la dernière réunion (7 et 8 juin) de la Banque centrale européenne (BCE) a également révélé que l’institut de Francfort est enfin confiant sur la solidité de la reprise.

Selon les économistes, cela confirme qu’il devrait annoncer à l’automne une nouvelle réduction de son programme de rachats de dettes publiques et privées pour 2018. Juste après la publication du compte-rendu, les taux allemands à dix ans ont grimpé à 0,56 %, contre 0,47 % la veille, signe de la nervosité des investisseurs. Car, pour eux, cette nouvelle stratégie signifie la fin à venir de l’argent facile. Vraiment ?

« Les choix qui s’offrent à la BCE sont trop souvent caricaturés par les observateurs, explique au Monde et à La Stampa Benoît Cœuré, membre du directoire de l’institution. Certains craignent que nous traumatisions les marchés financiers si nous bougeons d’un millimètre le curseur de la politique monétaire, tandis que d’autres préconisent une normalisation à marche forcée. »

L’inflation de la zone euro reste vacillante

Mais la stratégie de la BCE est plus subtile. « Déjà, en décembre dernier, nous avons réduit l’ampleur de nos achats d’actifs sans remettre en cause le soutien apporté à l’économie », illustre M. Cœuré. Autrement dit : l’institution a déjà ajusté sa politique monétaire en réaction à l’amélioration de la conjoncture. Et elle continuera de le faire « de manière très prudente », car l’inflation de la zone euro reste vacillante. Ces derniers mois, l’indice des prix s’est en effet rapproché de la cible de 2 % essentiellement sous l’effet de la hausse des cours du pétrole, et grâce aux mesures de la BCE.

Quelle sera la prochaine étape ? « Le conseil des gouverneurs continuera à ajuster ses instruments, qualitativement et quantitativement », précise M. Cœuré. « Avec prudence et flexibilité », en fonction « des perspectives d’inflation ». Contrairement à ce qu’affirment certains économistes, le Français assure que les largesses monétaires de la BCE n’ont pas alimenté la formation de bulles spéculatives. Mais aussi que les taux négatifs instaurés par son institution ne nuisent en rien aux établissements financiers, qui ne cessent de s’en plaindre.

« La profitabilité des banques et la progression du crédit montrent que la crainte d’effets secondaires négatifs est pour l’instant injustifiée, détaille-t-il. Il n’y a donc pas de raison, au vu de ces observations, de changer notre stratégie. »

Pour le reste, M. Cœuré insiste : la BCE « communiquera en transparence sur ces évolutions », à savoir celles de sa perception de l’économie et de ses mesures. « Ne pas le faire serait risquer un ajustement plus fort des marchés lorsque les décisions seront effectivement prises. » Façon de confirmer aux investisseurs (et aux gouvernements) qu’ils doivent se résoudre à la disparition de la béquille monétaire. Mais qu’ils seront prévenus suffisamment à l’avance pour s’y préparer…