Les tarifs réglementés de gaz semblent menacés, le rapporteur public du Conseil d’Etat ayant estimé vendredi 7 juillet que ces tarifs, appliqués par Engie (ex-GDF Suez) à plus de 5 millions de foyers, sont contraires au droit européen.

Dans la longue liste des procédures engagées par les fournisseurs concurrents des anciens monopoles, Engie et EDF, contre les tarifs régulés de l’énergie, celle qui était étudiée vendredi par le Conseil d’Etat pourrait bien être la plus importante.

A l’issue d’une audition publique, le rapporteur public de la plus haute juridiction administrative a recommandé d’annuler un décret datant de mai 2013 qui encadrait la fixation des tarifs réglementés du gaz.

Ce décret est attaqué par l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode), qui regroupe d’autres fournisseurs (Direct Energie, Eni, Lampiris...), pour laquelle les tarifs réglementés portent atteinte à la libre concurrence. Ces tarifs sont essentiellement proposés par Engie, mais aussi, à la marge, par des distributeurs historiques locaux de gaz.

La décision du Conseil d’Etat est attendue d’ici à la fin de juillet. S’il décide d’annuler le décret, ce ne sera qu’une première étape vers la fin des tarifs réglementés de gaz.

Car, à la fin de 2015, les dispositions contenues dans le décret de 2013 ont été intégrées au code de l’énergie, et elles resteront donc en vigueur, au moins dans un premier temps, mais le code de l’énergie pourra être à son tour attaqué par les autres fournisseurs.

Nouveau recours ?

« Le rapporteur public a ouvert un certain nombre de voies », a simplement commenté Fabien Choné, président de l’Anode, notant avec prudence qu’à ce stade « les conclusions vont dans le sens de la requête qu[’elle] avait déposée ».

L’Etat peut aussi décider d’abroger rapidement ces dispositions pour se conformer au droit européen. Une telle mesure, touchant les consommations énergétiques des Français, serait politiquement sensible, même si in fine il a l’obligation d’abroger des textes nationaux contraires au droit européen.

Pour fonder sa décision, le rapporteur public a étudié l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne sur cette affaire. En septembre 2016, celle-ci avait jugé que les tarifs réglementés français pouvaient être discriminatoires et avait demandé à la justice française de vérifier s’ils étaient conformes aux dérogations possibles.

L’étude de ces dérogations « n’incite pas à l’optimisme quant au pronostic vital » des tarifs réglementés, a estimé le rapporteur.

Ces tarifs ne peuvent notamment pas garantir un niveau du prix du gaz « raisonnable », car ils sont en partie calculés par rapport aux prix sur le marché de gros, par définition volatils, et qu’ils sont en général plus élevés que les prix en offre de marché.

Par ailleurs, ils ne garantissent pas une « cohésion territoriale », car il n’y a aucune obligation de raccordement au gaz, qui n’est pas reconnu par la loi comme un bien de première nécessité, contrairement à l’électricité. Enfin, il n’y a aucun « lien juridique » entre ces tarifs et la sécurité d’approvisionnement en gaz du pays, a noté le rapporteur public.

Quid de l’électricité ?

Ces conclusions ne concernent toutefois par les tarifs sociaux, appliqués aux consommateurs en situation de précarité. Le rapporteur juge également que le gouvernement doit pouvoir conserver son droit d’agir « ponctuellement » sur les tarifs en cas de hausse exceptionnelle du prix.

Dans sa décision, le Conseil d’Etat aura aussi à se prononcer sur l’effet rétroactif d’une annulation du décret, qui était valable de mai 2013 à décembre 2015.

Le rapporteur public estime qu’il ne faut pas interdire la possibilité pour les consommateurs de contester devant la justice les tarifs appliqués durant cette période, sans préciser si cela pourrait conduire à un remboursement des sommes payées, ni qui — de l’Etat ou d’Engie et des distributeurs locaux — serait redevable d’éventuelles compensations.

La décision du Conseil d’Etat sera aussi très attendue, car s’il confirme que les tarifs réglementés du gaz sont contraires au droit européen, cela ouvrira la porte à un jugement similaire sur les tarifs réglementés de l’électricité, appliqués cette fois à plus de 27 millions de consommateurs.

Contacté, Engie n’a pas souhaité faire de commentaire à ce stade. Le ministère de la transition écologique n’était pas en mesure de réagir dans l’immédiat.