Sur le port d’Augusta, en Sicile, le 23 juin. | EMILIO MORENATTI / AP

Editorial du « Monde ». En juillet, dans le canal de Sicile, le temps est idéal pour prendre la mer. C’est particulièrement vrai cette année, au large de la Libye. Et c’est une des raisons de l’explosion des départs en direction de l’Europe qu’on a pu observer ces derniers jours depuis les côtes africaines.

Entre le 26 juin et le 2 juillet, plus de 12 000 personnes sont venues s’ajouter aux dizaines de milliers qui ont été secourues depuis janvier… Cette année, l’Italie devrait voir arriver plus de 200 000 migrants sur ses côtes. Et les services de renseignement italiens évoquent le chiffre de plus de 300 000 candidats au départ, plus ou moins volontaires.

Face à ce défi, l’Italie va donc rester seule en première ligne. Ces derniers jours, elle a solennellement appelé à l’aide ses partenaires européens, leur demandant d’accueillir dans leurs ports quelques-uns de ces bateaux humanitaires. Mais force est de constater que, s’il y a eu une unanimité européenne, lors de la réunion de Tallinn, jeudi 6 juillet, c’est bien pour décourager l’Italie de poursuivre dans cette voie.

L’amertume de beaucoup d’Italiens

Dans l’affaire, Rome n’a obtenu qu’un peu d’argent et de belles paroles. Pire, mardi, tandis que Paris et Madrid réaffirmaient leur refus d’ouvrir leurs ports, l’Autriche menaçait d’envoyer des chars à la frontière italienne pour stopper les migrants. L’ancien président du conseil italien Enrico Letta, président du très proeuropéen Institut Jacques Delors, a résumé par un Tweet l’amertume de beaucoup d’Italiens : « Est-il possible que la France, l’Espagne et l’Autriche ne se rendent pas compte des dommages irréparables causés par leur geste ? »

A l’heure où Emmanuel Macron prétend vouloir donner corps à un nouvel élan européen, et multiplier les conventions sur l’avenir de l’Union, ce résultat sonne comme une preuve de plus des limites de la solidarité européenne.

L’aggravation de la crise en Méditerranée est avant tout due à la présence sur son flanc sud d’un pays, la Libye, en proie à l’anarchie politique. Naguère florissant en raison de ses ressources en hydrocarbures, le pays est depuis plusieurs années la proie des milices, et le trafic d’êtres humains y est aujourd’hui la principale source de richesse. Si chacun a pris conscience que la stabilisation du pays est le préalable indispensable à toute sortie de crise, le processus s’annonce long et incertain.

L’adhésion à l’idée européenne recule en Italie

Aussi l’idée de réduire la marge de manœuvre des ONG présentes dans la zone pour mieux confier à l’« Etat » libyen la gestion du problème apparaît-elle comme hautement condamnable, vu les innombrables crimes dont se rendent coupables les trafiquants d’être humains, qui sont pour l’heure les vrais maîtres du pays.

Dans l’opinion italienne, l’affaire aura contribué à affaiblir un peu plus encore l’adhésion à l’idée européenne, qui a spectaculairement reculé ces dernières années, à quelques mois d’élections législatives à très hauts risques.

La majorité construite autour du Parti démocrate, chaque jour plus fragile, pourrait perdre son leadership au profit d’une droite berlusconienne, anti-immigrés et eurosceptique qui relève la tête, tandis que le Mouvement 5 étoiles, campé sur une ligne anti-migrants, conserve les faveurs de 25 à 30 % des électeurs. Pendant ce temps, en Méditerranée, la catastrophe continue. En 2016, au moins 5 000 personnes ont perdu la vie durant la traversée. Et elles sont déjà plus de 2 100 depuis le 1er janvier.