« O. J. Simpson : Made in America », d’Ezra Edelman. | AP IMAGES / BETTMANN / CORBIS

arte, vendredi 7 juillet – 20 h 50, documentaire

Le lundi 13 juin 1994, il n’y a guère de doute pour les journalistes américains qui suivent l’affaire : O. J. Simpson, une des gloires du football américain, a bel et bien tué, chez elle, la veille, à coups de couteau, son ex-épouse Nicole et un serveur de restaurant qui a eu la malchance de lui rapporter les lunettes qu’elle avait oubliées dans son établissement…

Une semaine plus tard, O. J. Simpson doit se présenter à la police, pour y être inculpé, mais il prend la fuite avec un ami. Pris en chasse par la police, l’ex-champion, qui tient un pistolet contre sa tempe, menace de se suicider. Du haut de leurs hélicoptères, les équipes de télévision retransmettent cette course-poursuite suivie en direct par des millions d’Américains. O. J. Simpson ne se rend aux autorités qu’une fois arrivé chez lui à Brentwood, un quartier huppé de Los Angeles.

S’ensuit un procès-fleuve de onze mois (de novembre 1994 à octobre 1995) intégralement diffusé sur CNN. Cette affaire, à peine suivie par les médias français, devient outre-Atlantique le « procès du siècle ».

« Je ne suis pas noir, je suis O. J. »

De nombreux documentaristes avaient déjà tenté de le récapituler. Le réalisateur Ezra Edelman a fait mieux : son film en cinq épisodes, de près de huit heures, replace ce procès dans son contexte, celui d’une société américaine minée par la question raciale, la violence conjugale, l’hypermédiatisation et la toxicité de la culture des célébrités.

Couronné aux Oscars en février, le documentaire retrace le destin de cette icône du sport américain sans jamais perdre de vue la trame de l’histoire sociale américaine. Une mise en parallèle finement ficelée qui permet de mieux cerner la personnalité complexe de celui que les Américains surnommaient « The Juice ».

Né en 1947, Orenthal James Simpson a grandi dans un ghetto déshérité de San Francisco. A la fin des années 1960, ce jeune athlète noir devient la star de l’université USC de Los Angeles. En 1968, trois ans après les émeutes du quartier de Watts, qui ont ravagé la ville et secoué l’Amérique, un nombre croissant de sportifs afro-américains, Muhammad Ali en tête, mettent en danger leur carrière pour s’engager dans le combat en faveur des droits civiques. Simpson se tient à distance. « Je ne suis pas noir, je suis O. J. », affirme le jeune prodige.

Violence conjugale

L’élite blanche, effrayée par le symbole de puissance renvoyé par les Black Panthers, voit dans O. J. Simpson un gendre idéal. Charismatique, affamé de gloire, il s’accommode parfaitement de cette image. Joueur de football américain le plus talentueux des années 1970, il se reconvertit avec succès dans la publicité, le cinéma et la télévision.

Au faîte de sa puissance, il quitte sa femme Marguerite – une Noire qu’il a épousée à 19 ans et avec qui il a eu trois enfants – pour Nicole Brown, une ravissante jeune blonde rencontrée dans une boîte de nuit.

O. J. Simpson se révèle un mari infidèle, jaloux et brutal. Le film reconstitue de façon glaçante l’histoire intime du couple à partir des archives qui serviront à instruire le procès de 1995 : appels à la police effectués par Nicole Brown ; portraits de la jeune femme, le visage tuméfié ; témoignages des policiers qui sont intervenus au domicile du couple.

Mais en dépit des plaintes pour violence conjugale déposées par son épouse, Simpson est relativement épargné. Condamnée, l’ancienne gloire du sport américain passe ses 120 heures de travaux d’intérêt généraux à jouer au golf.

« La carte raciale »

Le film montre bien que le procès d’O. J. Simpson n’aurait jamais pris une telle ampleur si Los Angeles n’avait pas été le théâtre d’innombrables violences policières à l’encontre des Noirs et d’importantes émeutes raciales depuis les années 1960.

En 1994, personne n’a oublié les images de Rodney King, automobiliste arrêté pour excès de vitesse, passé à tabac par des policiers, un soir de mars 1991, ni les émeutes qui ont suivi leur acquittement en 1992.

L’ombre de ces événements pèsera sur tout le procès. Les avocats d’O. J. Simpson n’auront de cesse de jouer « la carte raciale ». En exhumant des propos racistes prononcés par le détective Mark Fuhrman, premier policier arrivé sur les lieux du crime, et en exploitant les erreurs des avocats des parties civiles, ils parviendront à convaincre les jurés d’acquitter l’ex-champion. Pour la plupart des Américains blancs, le verdict est scandaleux. Dans une spectaculaire euphorie collective, l’immense majorité des Noirs fête, en revanche, la libération d’O. J. Simpson comme une victoire historique.

Passionnante de bout en bout, cette fresque tient en haleine grâce à un montage habile. Ezra Edelman, qui a interrogé soixante-douze témoins – proches du couple, amis d’enfance, policiers, avocats, journalistes –, montre aussi les limites du système judiciaire américain : sans sa renommée et sa fortune personnelle, O. J. Simpson n’aurait pu financer son procès en 1994. Après sa libération, il est considéré comme un paria. Arrêté pour une pitoyable attaque à main armée à Las Vegas (Nevada) en 2007, il sera condamné à trente-trois ans de prison un an plus tard.

« O. J. Simpson : Made in America », d’Ezra Edelman (Etats-Unis, 2016, 5 × 90 minutes). Diffusion des deux premiers volets le vendredi 7 juillet, les trois suivants le samedi 8 à 20 h 50.