Une rue de Chypre coupée en deux par la frontière entre la partie turque et la partie grecque de l’île, le 6 juin. | YIANNIS KOURTOGLOU / REUTERS

L’air des montagnes suisses n’a pas apaisé les tensions chypriotes. Après plus d’une semaine de négociations intenses à la station alpine de Crans-Montana, sous l’égide des Nations unies, le secrétaire général de l’ONU, « profondément déçu », a dû annoncer leur échec dans la nuit du 6 au 7 juillet. C’était la deuxième fois qu’Antonio Guterres faisait le voyage en espérant saisir une « opportunité historique ». Sans succès. « Ils étaient très proches d’une solution, mais cela a achoppé sur la question de la présence des troupes turques », explique Hubert Faustmann, directeur de l’Institut Friedrich-Ebert à Nicosie.

Chaque partie rejette sur l’autre la responsabilité de l’échec. Ankara, qui contrôle la partie nord de l’île, a refusé de retirer ses soldats et voulait se réserver un droit d’intervention, tandis que Nicosie réaffirmait comme condition préalable le départ de toutes les troupes. Lors du dernier dîner, extrêmement tendu, jeudi soir, en présence de M. Guterres, les positions se sont durcies, rendant impossible toute avancée.

Présidence tournante, partage des terres

L’arrivée à la tête de la partie turque de l’île de Mustafa Akinci, en 2015, avait donné un nouvel élan aux négociations et suscité un réel espoir d’enfin parvenir à une solution. Les dirigeants des deux côtés de l’île étant partisans de longue date d’une réunification. L’actuel président chypriote, Nikos Anastasiades, avait soutenu le plan Annan de réunification en 2004, qui avait été accepté par les habitants du Nord mais rejeté par les Chypriotes grecs.

Après de nombreuses rencontres entre les deux responsables à Nicosie, Genève ou New York, sous l’égide de l’ONU et avec des représentants des trois pays « garants » (Royaume-Uni, Grèce et Turquie), le dossier avait sérieusement avancé pour mettre en place un Etat fédéral avec présidence tournante et une clé de répartition des terres entre les communautés grecques et turques. Restait en suspens la question du rôle des garants de l’île en cas de réunification, avec notamment la présence de l’armée turque dans le nord de Chypre.

En 1974, la Turquie avait envahi l’île, après la proclamation d’un coup d’Etat de Chypriotes grecs qui avaient demandé le rattachement de Chypre à Athènes. Depuis, Chypre est coupée en deux entre la République de Chypre et la République turque de Chypre du Nord, qui n’est pas reconnue par la communauté internationale. Après l’indépendance proclamée en 1960, l’ONU avait dû intervenir pour assurer la paix entre les deux communautés.

« Bonne chance aux prochaines générations »

La plupart des protagonistes essaient de se convaincre que le processus va continuer. « Ce n’est pas la fin de la route », a commenté le porte-parole du président chypriote, en mettant en cause l’intransigeance turque. « Nous continuerons nos efforts pour un règlement, selon des paramètres différents », a expliqué le ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, qui prend ses distances avec la mission de l’ONU. Le président chypriote turc est plus pessimiste : « Je souhaite bonne chance aux prochaines générations. Un jour peut-être les Chypriotes turcs et grecs décideront qu’ils n’ont plus besoin de troupes sur l’île. »

« Il ne pourra pas y avoir de nouvelles négociations avant les prochaines élections chypriotes », explique Hubert Faustmann. L’élection présidentielle devrait avoir lieu en février 2018. Les partis politiques sont divisés sur la question de la réunification et le parti nationaliste, Diko, redoute comme en 2004 que les compromis se fassent aux dépens des Chypriotes grecs.

« Nous aurons une nouvelle épreuve rapidement, quand Total commencera les forages marins d’ici une quinzaine de jours. Les Turcs risquent de réagir vivement », souligne M. Faustmann. Des gisements de gaz – et peut-être de pétrole – ont été découverts dans la zone économique maritime chypriote. Mais Ankara conteste le découpage de ces zones. En 2014, la Turquie avait envoyé un de ses bateaux dans une zone d’exploration confiée à la société italienne ENI. L’échec des pourparlers pourrait relancer cette guerre du gaz à Chypre.