Shinya Takahashi | William Audureau / Le Monde

C’est aujourd’hui la personnalité en vue de Nintendo. A 53 ans, Shinya Takahashi, l’actuel directeur général du groupe, est pressenti pour prendre un jour la présidence de la compagnie. De passage à Paris pour la « Japan Expo » (qui s’est déroulée du jeudi 6 au dimanche 9 juillet à Villepinte), où l’entreprise japonaise tient le principal stand de jeux vidéo, il rencontrait pour la première fois la presse française.

Avec le lancement réussi de la Switch en mars, Nintendo a confirmé son retour en force, commencé à l’été 2016 avec Pokémon Go. Trois semaines après sa sortie, la petite console de salon transportable s’est écoulée à 2,74 millions d’exemplaires, battant les records de la PlayStation 4 et de la Wii dans de nombreux pays. Confiant, Nintendo a annoncé fin juin miser sur un parc installé de 10 millions d’unités d’ici à la fin 2017.

Derrière ce succès, le travail collectif d’une entreprise bien sûr, mais aussi la réussite de M. Takahashi, qui a supervisé le développement de la console et de ses jeux.

« La Switch a surtout été pilotée par M. Kamoto et moi-même, admet-il. Le développement du concept s’est fait en très petit comité, même si Satoru Iwata [précédent président de Nintendo, mort en juillet 2015] comme Shigeru Miyamoto regardaient ce qu’il se passait », explique au Monde cet ancien diplômé de l’université d’arts de Kyoto, au ton humble et rieur.

Ce pur produit maison entre dans les murs de la firme de Kyoto en 1989, enrôlé à l’époque par l’emblématique M. Miyamoto, le « Walt Disney du jeu vidéo » (Super Mario Bros., The Legend of Zelda). Si la disparition de Satoru Iwata l’a propulsé en avant, toute sa carrière s’est faite dans l’ombre des nombreux créatifs de la firme. Des réussites, il en a pourtant connu. Mais c’est surtout pour sa qualité de coordinateur d’équipes qu’il s’est démarqué.

« Si tous les créatifs de Nintendo étaient vus comme un ensemble musical, alors M. Takahashi serait notre chef d’orchestre », expliquait, en février, le président de Nintendo of America, Reginald Fils-Aimé, dans un long portrait réalisé par le Time. Au total, onze unités de production différentes répondent à ses ordres, dont chacune travaille sur plusieurs projets.

C’est également lui qui a piloté leur réorganisation afin de répondre à l’une des critiques adressées à la précédente console de salon du groupe, la Wii U : son manque de jeux et des sorties erratiques. « Nous avons complètement refondu la manière dont nous nous répartissons les projets », explique-t-il au Monde. Les deux grandes divisions internes (le design et la programmation) ont fusionné, et les développeurs sont désormais tenus de partager leur travail même quand ils appartiennent à des projets différents. Avec succès, pour l’instant : le catalogue de la console se remplit à grande vitesse, avec une sortie majeure chaque mois.

Rechercher des jeux drôles, innovants et exclusifs

A travers le choix des jeux lancés pour la première année de vie de la console, M. Takahashi a envoyé un message à la fois aux joueurs et aux éditeurs tiers. « Le fait que nos titres de lancement aient été The Legend of Zelda : Breath of the Wild, 1-2 Switch et Snipperclips était très important. Ce sont des jeux qui ont chacun leur identité et qui permettent à chacun de profiter des spécificités de la console », comme la possibilité de déplacer la machine n’importe où ou d’en détacher les manettes pour les passer à un autre joueur. Fidèle à la philosophie de Nintendo, il recherche surtout des jeux drôles, innovants et exclusifs, sans s’interdire aucun genre ni aucun type de budget.

Reste à convaincre les éditeurs tiers, ces entreprises indépendantes comme Activision ou Electronic Arts, qui contribuent au succès d’une machine en y apportant leurs franchises les plus vendeuses. Nintendo s’est mis dans la poche le français Ubisoft, « des amis, un partenaire privilégié », et lui a même prêté son personnage iconique, Mario, pour un Mario + The Lapins Crétins inattendu et prometteur, prévu fin août.

« Mais nous ne nous interdisons pas d’autres collaborations avec d’autres acteurs. Aujourd’hui, nous sommes peut-être plus ouverts à ce genre de propositions », admet M. Takahashi.

Il reconnaît avoir choisi un environnement de programmation proche du PC et une ergonomie des touches voisine des autres consoles pour faciliter la vie aux éditeurs tiers.

A l’heure où l’actuel président intérimaire de Nintendo, Tatsumi Kimishima, 67 ans, et son créatif en chef, M. Miyamoto, 65 ans, s’approchent de la retraite, M. Takahashi porte le flambeau du renouveau, mais veille à ne pas brûler les étapes, alors même qu’il se retrouve parfois à superviser M. Miyamoto en personne sur ses projets de jeux. « D’un point de vue hiérarchique, cela peut être vu comme ça, mais M. Miyamoto est mon professeur ! », évacue le directeur de Nintendo.